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KIDS ⸱ Rébecca Chaillon interviewée par Aurore, Corto, Eva et Tala

  • Cécile Rosevaigue
  • 2024-04-04

Submergés d’émotion, Aurore, Corto, Eva et Tala, en seconde option théâtre, ont échangé avec Rébecca Chaillon après la représentation de "Plutôt vomir que faillir", spectacle performatif qui traite des tempêtes qui traversent l’adolescence.

Tu sais que tu nous a fait pleurer tout au long de la pièce ? 

Vraiment …mais tu continues en plus, ça va quand même ? 

Oui ! (Rires)

Comment as-tu travaillé pour être si juste  ? 

La thématique c’est l’adolescence, je me suis interrogée sur qui était l’ennemi lors de cette période. Je me suis rendue compte que j’avais pas mal de choses à régler avec le concept de parents et aussi avec l’école qui m’a sauvée à certains endroits mais m’a aussi mise dans des cases. J’avais besoin de péter tout ça ! J’aime faire des spectacles engagés et énervés,  sur comment la société ne va pas bien. Pour pouvoir travailler toute.s ensemble, on a mis en commun des références de films, de musiques, on a écrit des auto-questionnaires, enregistré des podcasts, des radios, sur nos adolescences. Grâce à tout ce travail, on a créé des performances autour du texte. 

Quelle est la différence entre la performance et le théâtre ?

C'est une forme et un terme qu'on retrouve beaucoup dans l'art contemporain. Il n’y a pas de fiction, pas de narration linéaire, le relation au temps et à l'espace est dans le réel. La personne qui fait quelque chose en plateau est importante pour ce qu'elle est. La performance un outil pour s'émanciper quand on n'est pas dans la norme.  J'avais regardé sur la définition de Wikipédia qui est pas mal :  « Être, faire, montrer se faire, regarder se faire, expliquer se faire. »

Comment as-tu choisi les comédiens ? 

En audition. Je voulais qu’il aient conscience qu’ils se situent hors de la norme, c'est à dire qu'ils ne disent pas "oui je suis noir.e mais ce n'est pas un sujet ». Pour moi, il était nécessaire que ce soit ok d'en faire un sujet ! Je voulais une altérité visible dans le groupe, je n’étais pas prête à tous les arrangements.

Comment te viennent ces idées étranges ? Par exemple de faire avaler de la moutarde à Zachary l’un des comédiens. 

Le spectacle a pour décor la cantine d’un établissement scolaire.  On s’est interrogé sur une façon de parler des fluides, de ce qui traverse l’adolescence, en utilisant des éléments qui sont à disposition dans un réfectoire. Comment montrer la virilité, la masculinité, la colère, des garçons quand ils se construisent de manière « mâle » ? On a beaucoup travaillé les improvisations et Zachary a joué avec les sauces. On a fait le lien avec l’expression « la moutarde qui nous monte au nez », et voilà ! 

Pourquoi est-ce que tu fais un usage excessif de la nourriture ?

Euh... parce que ! 

C’est compliqué d’expliquer ? 

Non, pardon, je rigole .  Ma compagnie s’appelle « Dans le Ventre », tu as raison, la nourriture est une question qui m’obsède. J’ai essayé d’en faire quelque chose qui ne soit pas juste une souffrance.  À l’école ou chez tes parents, on te dit quoi  manger, à quelle heure et de quelle manière. J’ai voulu me réapproprier mon rapport à la nourriture et à la perception de mon corps. J’ai aussi compris qu’à travers la nourriture on pouvait aborder de multiples thématiques, la classe sociale, la pauvreté, la richesse , l’écologie, et le rapport au genre. Qu’est ce que les filles ont honte de manger ou de ne pas manger ?La cantine est un endroit où l’on est scruté « Ah toi tu ne manges pas de viande, toi c’est le porc », on est observé et parfois jugé. 

Ma compagnie s’appelle "Dans le ventre", la nourriture est une question qui m’obsède. J’ai essayé d’en faire quelque chose qui ne soit pas juste une souffrance. À travers la nourriture, on peut aborder de multiples thématiques : la classe sociale, la pauvreté, la richesse, l’écologie et le rapport au genre. Qu’est-ce que les filles ont honte de manger ou de ne pas manger ? La cantine est un endroit où l’on est scrutés et parfois jugés.

Est-ce qu’il y a une morale cachée dans ce spectacle ?

J’avais envie qu’on voie des personnalités, des histoires d’ados trans, arabes, noir(e)s sur scène, qu’on puisse parler de nos vulnérabilités, de nos empêchements, mais aussi des endroits où l’on a trouvé force et réconfort. C’est peut-être ça, le message caché : on peut créer sa propre famille.

À la fin de la représentation, j’ai croisé une ancienne prof du collège, qui m’a dit : « C’est vraiment choquer pour choquer ! » Moi, je ne comprends pas cette réaction...

Je ne nie pas que je repousse les limites, c’est une invitation à sortir du cadre, mais la question est : pourquoi ça la choque ? Quand on filme des poils et que toute la salle crie de dégoût, la question est : pourquoi ça répugne ? Pourquoi c’est dégoûtant sur une personne née fille et pas sur une personne née garçon ? Je ne veux pas choquer pour choquer, ce n’est pas gratuit, je souhaite qu’on réfléchisse et que les gens éprouvent les choses. J’aime cette idée : tu vois un spectacle, mais en fait tu te regardes, toi.

Faire quelque chose de ses traumas, ça fait du bien ? 

Écrire ce texte, c'était dur, j'avais l'impression de régler mes comptes avec mes parents. Je viens d'une famille où il y a des choses pas ok du tout mais on s’aime quand même alors je suis assez privilégiée. Mes traumas viennent davantage du monde adulte qui m’entourait, du monde blanc, du monde masculin, du patriarcat, de la grossophobie. Quand je regarde les photos de moi ado je ne me trouve pas grosse. À quel moment on m'a fait croire que j'étais grosse ?J'ai enchaîné les régimes, je me suis mise à grossir et j'ai créé une obsession. Voilà ce qui me fâche, c'est quoi ce monde de merde, j’étais trop canon ! Attention je me trouve toujours canon, mais je sais qu'à 38 ans peser 115 kilos, en terme de santé ce n'est pas évident !

 Si tu avais vu ce spectacle ado, tu te serais sentie plus forte ? 

Ce spectacle m’a permis de dialoguer avec l'ado que j'ai à l’intérieur. J'espère que cela permettra aux ados de dialoguer avec leur adulte futur. 

Si tu avais vu ce spectacle ado, tu te serais sentie plus forte ? 

Ce spectacle m’a permis de dialoguer avec l'ado que j'ai à l’intérieur. J'espère que cela permettra aux ados de dialoguer avec leur adulte futur. 

A quel moment  as-tu décidé que les spectateurs allaient participer ? 

Je ne voulais pas d'un théâtre traditionnel :  je te transmets, tu t’assoies, tu te tais, tu regardes et tu applaudis à la fin. Mais à une semaine de la première j'ai réalisé que j'étais en train de proposer un spectacle frontal alors que je souhaitais que le public soit sur le plateau. 

Pour tester un nouveau dispositif on a fait venir une classe, j’avais mis des tablettes numériques pour que le public puisse interagir avec les acteurices, en leur envoyant des messages qui s'affichent sur le grand écran du plateau. J'avais aussi disposé des bonbons partout dans le réfectoire qui sert de décor les élèves sont arrivés et en 10 secondes ils ont dépouillé tous les bonbons, puis ils se sont servis des tablettes pour communiquer entre eux, du genre : " Samir, je t'aime, t'es trop cute..." (rires). Bon, bref, ça n'allait pas, je n'ai pas eu assez de temps pour imaginer une autre mécanique. On a juste gardé ce moment où les spectateurs qui trouvent un ticket d’or sous leur siège - petit hommage à Charlie et la Chocolaterie - peuvent monter sur scène pour regarder un film d’horreur et manger du pop-corn.

J’ai vu un autre spectacle que tu as crée et dans lequel tu joues, Carte Noire Nommée Désir  [Rebecca Chaillon y est entourée de 7 performeuses noires qui interrogent la fétichisation des corps des femmes afro descendantes, ndlr]. Certains spectateurs avaient des réactions violentes dans la salle. Est-ce que vous vous êtes préparés à ça pour Plutôt Vomir que Faillir 

On a commencé à s'inquiéter au regard de ce qui se passait avec Carte Noire [lors des  représentations au Festival d’Avignon certaines actrices ont été agressées sur scène et dans la rue, ndlr]. On fait attention, parce que la société est en train de se « fachiser». On m’a rapporté les paroles d’un parent d’élève : « Je ne veux pas que mon enfant voit cette diablerie wokiste ». Ça ne veut pas dire grand chose mais ça signifie qu’il ne veut pas qu'on parle à ses enfants, de genre, de sexualité, de race. C'est ce style de réactions auxquelles on a eu droit. Pendant le spectacle, ce qui agite le public, ce sont les questions de pilosité, les questions d'agressions sexuelles ou de cannabis… Après ce qu'il s'est passé pour « Carte noire …», on s'est dit que si une personne de l’équipe technique ressentait un danger, elle devait donner l’alerte pour l’évacuation du plateau.

Plutôt vomir que faillir de Rébecca Chaillon, le 26 avril au Théâtre du Fil de l’eau (Pantin), et le 29 avril au Théâtre Jean-Vilar (Vitry-sur- Seine), dès 12 ans.

Photographie : Ines Ferhat pour TROISCOULEURS

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