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Nicolas Philibert : «  Filmer des gens en situation de faiblesse absolue, ce n’est pas mon style. »

  • Éléonore Houée
  • 2023-04-12

[INTERVIEW] Avec « Sur l’Adamant », le documentariste Nicolas Philibert nous embarque dans un centre de jour psychiatrique atypique, une péniche accostée quai de la Rapée à Paris. Le film a obtenu l’Ours d’or à Berlin cette année. Une récompense à la hauteur de ce cinéaste au regard humaniste. Entretien.

Sur l’Adamant est le premier volet d’une trilogie sur les soins en psychiatrie et les rapports entre soignants et patients. Comment est né ce projet ?

J’appelle plutôt ça un triptyque. Les trois films vont être tout à fait indépendants, même s’ils sont tous les trois tournés au sein du pôle psychiatrique Paris-Centre. On pourra les voir dans l’ordre, dans le désordre, n’en voir qu’un. Mon idée de départ, c’était un film sur l’Adamant, c’est tout. Pendant que je tournais, j’ai eu envie de rendre visite à des patients hospitalisés. Ces visites à l’hôpital se sont petit-à-petit transformées en repérages, et au bout d’un certain temps, j’ai eu l’idée de faire un second film [en cours de montage, il s’intitulera Averroès et Rosa Parks, ndlr]. Dans la foulée, j’ai aussi filmé des soignants un peu bricoleurs chez des patients démunis face à un problème domestique. Ces quelques visites ont constitué un troisième film [qui n’a pas de titre et n’est pas encore monté, ndlr]. On va retrouver dans les deuxième et troisième films quelques-uns des personnages qu’on aura vus dans Sur l’Adamant et d’autres que l’on va découvrir à l’hôpital.

Vu à la Berlinale : « Sur l'Adamant » de Nicolas Philibert

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Dans les dernières minutes de La Moindre des choses, votre documentaire sorti en 1997 qui suit les répétitions d’une représentation théâtrale au sein de la clinique psychiatrique de La Borde dans le Loir-et-Cher, un patient vous dit : « On est entre nous et vous êtes entre nous aussi maintenant. » Votre intégration semble tout aussi réussie sur l’Adamant.

C’est une phrase magnifique. Ça raconte que nous sommes accueillis par les patients. Mais je vois qu’au-delà de ça, c’est une façon de dire que l’on fait partie du même monde, que l’on a quelque chose en commun. C’est une manière au fond d’abattre cette prétendue frontière que certains veulent à tout prix ériger entre les gens qui seraient soi-disant normaux et ceux qui ne le seraient pas.  L’Adamant, comme la clinique de La Borde, sont des lieux où il n’y a pas de signes distinctifs qui permettent de reconnaître d’emblée qui est patient, qui ne l’est pas. Il n’y a pas de blouse blanche. Ce sont des lieux où les patients ne sont pas uniquement regardés à travers leurs symptômes et leur maladie.

Dans votre mise en scène, cela se traduit par davantage de conversations face caméra avec les patients, se confiant sur leurs problèmes quotidiens.

Quand j’ai tourné La Moindre des choses, je me suis beaucoup appuyé sur l’élaboration d’un spectacle de théâtre et qui m’a servi de fil conducteur. Là, je suis parti un peu de façon plus libre, avec la volonté de me laisser aller au quotidien, sans m’accrocher à l’idée qu’il faudrait un message. Plus j’avance, plus j’aime improviser et plus l’improvisation est pour moi quelque chose de nécessaire dans ce que ça implique pour la relation avec les personnes qu’on vient filmer. C’est-à-dire se mettre dans un état de disponibilité, laisser aux vestiaires toute intention trop marquée.

« En documentaire, il me semble que le cinéaste a une forme de responsabilité. »

Il y a peu de dispute sur ce bateau – même si certains patients voudraient animer les ateliers avec des soignants. Avez-vous privilégié au montage des scènes d’harmonie plutôt que de conflit ?

Il m’est arrivé de voir ici ou là un patient un peu remonté, un peu menaçant, poussant quelques coups de gueule mais je ne suis pas du genre à me précipiter avec ma caméra dans ces situations. Quand on a une caméra dans les mains, on a un pouvoir sur l’autre. Il s’agit de ne pas en abuser. L’image peut blesser, elle peut faire mal. Filmer des gens en situation de faiblesse absolue, ce n’est pas mon style. En documentaire, il me semble que le cinéaste a une forme de responsabilité.

Le film sort près de deux mois après avoir remporté l’Ours d’or à Berlin. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

D’abord, sur le plan personnel, c’est une fierté, un honneur, la reconnaissance d’un parcours [connu pour son approche sans a priori et pleine d’écoute, Nicolas Philibert s’infiltre dans des lieux variés tels qu’une école dans Être et avoir, une ménagerie dans Nénette ou encore la Maison de la Radio, dans le film éponyme, ndlr]. Mais au-delà de moi, c’est soudain une belle place qui est réservée à un documentaire, et ça vaut pour l’ensemble du documentaire d’une certaine manière. Ce prix a une portée plus large, il défend une façon de faire du cinéma, artisanale, fragile, modeste. Un cinéma à l’échelle humaine, tourné dans une économie relativement restreinte. Et puis je me dis que si ça peut avoir un petit impact dans le champ de la psychiatrie, c’est bien aussi.

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