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FID Marseille 2023 : « L’Île », « Here »… Nos 5 coups de cœur

  • Marilou Duponchel
  • 2023-07-10

Le Festival international de cinéma de Marseille s’est achevé hier en dévoilant son palmarès. Petite rétrospective des cinq films qui nous ont le plus enthousiasmé durant ces quelques jours.

 Que quelque chose vienne de Mathilde Girard

Après Les épisodes - printemps 2018, salué du prix du meilleur film en 2020, Mathilde Girard était de retour au FID avec Que quelque chose vienne, clin d’œil assumé à l’inoubliable balade gorgée de spleen de Petula Clark, La Nuit n’en finit plus. C’est aussi partiellement, le long d’une nuit, épaisse comme un vieux rêve qui ne bouge plus, que s’enfonce Que quelque chose vienne. Son temps, celui du film, n’est pas encore tout à fait guéri de la menace du COVID et avec elle de toute idée de contact humain. Dans les rues de Paris, on se promène à distance, masqué, la vie telle qu’on la connaît reprend doucement mais l’atmosphère reste lourde.

La caméra sous surveillance de Mathilde Girard (qui est aussi psychanalyste, écrivaine et scénariste, notamment pour Pierre Creton) enregistre les rares endroits encore en mouvement de la ville (une échoppe asiatique collée à un manège pour enfants fermé, la sortie d’un hypermarché…) et ses habitants·tes qui y rôdent à heures précises du couvre-feu. Des petits bouts de lieux et de riens que la fixité des plans répétés transforment en balises mélancoliques, comme si se murmurait ici le caractère périssable de tout, sauf celui des rues et du goudron. A cette cartographie de la ville de Paris, la cinéaste adjoint d’autres fragments, qui semblent eux davantage pétris par la fiction - c’est une fille seule chez elle, une femme, artiste dans un taxi et son chauffeur très téchinien. Au fond de leurs yeux, les signes floutés d’un manque, de quelque chose qui se serait effacé, estompé (comme la main de cette artiste qui a oublié comment dessiner), et ceux d’une solitude prisonnière. Dans la sécheresse souple d’un réel silencieux et dépouillé, Que quelque chose vienne vient alors recueillir ces âmes errantes, les regarder sensuellement pour mieux réparer la béance du lien qui s’est défait.

Le film a été récompensé du prix Georges de Beauregard National.

Here de Bas Devos

Dans une pensée partagée en voix off, le personnage interprété par l’actrice Liyo Gong, botaniste, se remémore un rêve dans lequel elle se trouvait tout à coup incapable de nommer les objets qui entourent son quotidien sans que cela ne vienne perturber son rapport au monde. Se formule alors très directement le caractère tout aussi évanescent que terrestre, lisible et mystérieux, de Here, conte aux airs d’une rom-com réinventée et quatrième long du cinéaste belge Bas Devos (Violet, 2014 ; Ghost Tropic, 2019). Le film semble chercher à faire table rase, à oublier le sens présupposé des choses pour ne garder rien d’autre que cette mise en présence clamée par son titre, cet ici et maintenant, ce rapport premier, direct aux éléments, à la nature et aux êtres.

Film buissonnier ou aquatique, Here navigue sur les sentiers de deux récits, d’abord parallèles et bientôt réunis (un boy meets girl sous le signe de la douceur et des sensations) de deux espaces (le gris du béton et le vert de la forêt), de deux milieux (un ouvrier et une scientifique) où se dialectise un rapport à l’immensément grand et à l’immensément petit, au fort et au fragile. Au fil de son errance, sans jamais recourir au discours, Here, qui appelle par sa lente ondulation une forme de recueillement primitif, se charge d’une profondeur politique sensible en catalysant son attention sur la mousse qui pousse entre les racines des arbres et que la jeune fille étudie en forêt. Comme une façon de regarder différemment, juste là sous nos pieds, de petites merveilles qu’on n’avait jamais vraiment bien vues.

Construire les liens familiaux de Pauline Bastard

On attendait Construire les liens familiaux un peu comme le nouveau Mourir à Ibiza, bulle estivale faite à six mains qui regardait sur trois étés les liens solides puis distendus entre les membres d'une bande d’amis·ies. C’est ici une famille factice, reconstituée de toute pièces par une session de casting, qui aura désigné quatre personnes comme les modèles familiaux d’un film prêt à les (dé)constuire.

Durant quatre années, Pauline Bastard, jeune cinéaste venue de l’art contemporain, aura planifié des vacances au bord de l’eau entre ces comédiens·nes novices pour les faire se rencontrer et pour que se tisse entre eux·elles l’indicible de ce qui forme le mot "famille". De ces ateliers, la cinéaste n’aura gardé que les vides, les temps morts et les silences, tout le hors champ de ce à quoi la fiction traditionnelle nous a habitués.

Le film se situe d’ailleurs plus du côté de la performance, de l’essai, de l’objet théorique que du récit, et épouse la forme d’un roman-photo animé, d’abord régi par la complicité, le rire, et la chaleur du clan bientôt gagné par un sentiment de dissolution, conduisant le film sur un terrain proche du film d’horreur, sorte de Paranormal Activity exsangue. De cette déréalisation constante qui substitue bientôt au réel, un plateau virtuel façon Sim’s, Construire les liens familiaux tire une réflexion éminemment contemporaine sur l’irréalité insoupçonnée du monde, dans ses moindres recoins, et sur l’impérieuse nécessité d’un dépouillement de tout, pour mieux voir son revers invisible.

An Evening Song (For Three Voices) de Graham Swon

Producteur et distributeur américain (notamment de Pedro Costa et Béla Tarr aux Etats-Unis), Graham Swon est également cinéaste. An Evening Song (For Three Voices) est son deuxième long métrage après The World is Full of Secrets, non distribué en France, un drôle de film en costumes, rencontre d’un mélo bourgeois et champêtre à l’érotisme feutré et de visions plus bizarres et psychédéliques entre Bertrand Mandico, João Pedro Rodrigues et Twin Peaks. C’est l’été 1939, moment d’avant-guerre et de grand chamboulement de tout.

Le désordre intervient ici dans le couple d’aristo que forment Barbara et Richard, autrice empêchée et auteur de roman de gare à succès –duo bientôt démantelé, sans fracas. Ce doux chaos est initié par l’arrivée de Martha, bonne angélique et pieuse. Au contact de cette fée à la beauté magnifiée par une blessure partielle du visage, la triangulation amoureuse opère et c’est tout entier à la matérialisation des désirs enchevêtrés que se consacre Graham Won. Fondus, fermeture à l’iris, entrelacements de voix, crépitement du grain de la pellicule, musique ambient ou surimpression et travelling latéral sublime capturant un rapprochement amoureux… An Venins Song (For Three Voices) agit alors comme un sortilège, un filtre d’amour enivrant à combustion lente.

Le film a été récompensé du prix européen des lycéens fondation Vacances Bleues.

 

L’Île de Damien Manivel

Après un dytique articulé autour de la danseuse et chorégraphe américaine Elsa Wolliaston, Damien Manivel revient avec L’Île au terrain de l’adolescence déjà arpenté dans son beau et contemplatif Le Parc. Ici, le synopsis nous ramène à des synopsis connus, familiers, si rebattus - passages obligés de ces récits de jeunesse : l’heure des séparations et la fin de l’enfance. Rosa doit partir pour Montréal étudier la danse, laissant dans la ville qui l’a vue grandir ses amis·ies. Elle décide d’une ultime réunion sur l’île, petit royaume de débauche adolescente surchargée en canettes de bières, fumée de joints et autres défis criés et intenses embrassades...

Mais à ce récit à la tonalité teen, Manivel agrège un autre film, celui des répétitions durant lesquelles les comédiens·nes et l’équipe du film cherchent L’Île, son mouvement, sa structure. Lors de la présentation, le cinéaste français parlait de son nouveau long métrage comme d’un film qui lui avait longtemps « échappé ». Plus qu’une fidélité affichée à l’adage à la Rivette selon lequel chaque film serait le documentaire de son propre tournage, L’Île livre dans cette part de recherche un aveu de dévoilement et d’humilité assumée face à son sujet qui révèle toute sa texture émouvante et réflexive. Quelque chose de la fascination de Manivel pour la décomposition des gestes les plus quotidiens, regardés comme de précieux joyaux ou de possibles chorégraphies, subsiste ici et confère une densité particulière et puissante à chaque instant, comme un démantèlement en prises de vue réelles de la matière même du souvenir.

Le film a reçu une mention spéciale du jury de la compétition française, le prix d’aide à la distribution en partenariat avec le GNCR, une mention spéciale du jury européen des lycéens fondation Vacances Bleues.

Date de sortie : 27 mars

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