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« Vitalina Varela » : élégie funeste

  • Corentin Lê
  • 2022-01-10

Une Cap-Verdienne débarque à Lisbonne quelques jours après la mort de son mari, dont elle n’avait plus de nouvelles depuis longtemps. Avec « Vitalina Varela », Pedro Costa signe un film-tombeau plastiquement hallucinant, dans lequel les corps rôdent entre l’ombre et la lumière.

Une fois arrivée dans la bicoque où a vécu son défunt mari, Vitalina Varela, Cap-­Verdienne tout juste parvenue au Portugal, ouvre une porte puis se cogne la tête contre un mur. La maison semble refuser de l’accueillir, la rappelant à la matière d’un monde rigide et inflexible. Veuve pleine de rancœur envers un conjoint qui l’a délaissée avant de disparaître, Vitalina est de fait apparue dans le film comme un fantôme, descendant un peu plus tôt les marches d’un avion à la manière d’un spectre, lévitant sans bruit en direction d’une nuit abyssale.

Une nuit noire qui semble durer une éternité dans ce nouveau film signé du Lisboète Pedro Costa (Dans la chambre de Vanda, En avant jeunesse). L’obscurité engloutit les figures et plonge le récit dans une forme de somnambulisme hanté, tandis que les interactions humaines, déjà minées par la pauvreté qui règne dans le quartier de Cova da Moura, situé près de Lisbonne, sont dans un premier temps réduites à des échanges rudimentaires.

Lancinant, avare en événements et peu loquace, le film trouve son intérêt ailleurs, dans le détail de quelques gestes équivoques, dans la rage qui sourd d’une complainte mortifère ou dans la fascination obsédante qu’exercent ces plans où des silhouettes émergent des ténèbres avant d’y retourner. Fait d’allers et retours entre l’ombre et la lumière ou entre la maison du défunt et une église vétuste dirigée par un prêtre à la santé précaire, le film suit l’errance de cette femme esseulée dans un univers majoritairement masculin, piégée entre les murs de sa demeure comme dans les dédales du monde extérieur.

Cette trajectoire serpentine dans les abîmes carcéraux du visible, au bout de laquelle il sera question d’entrevoir la possibilité d’un adieu plus apaisé au mari disparu, s’articule principalement autour d’une traversée de seuils. Des portes se ferment puis s’ouvrent ; des ouvertures vers la lumière de l’extérieur se dessinent grâce aux reflets qui émanent des miroirs accrochés aux murs délabrés de la maison ; un tunnel fait office de chemin de traverse en direction d’un cimetière caché…

Le long de cette élégie funeste, l’architecture en ruines de Cova da Moura noue une alliance remarquable avec la caméra de Costa, qui transfigure chaque plan en un tableau riche en fulgurances plastiques. Tragique, l’histoire de Vitalina Varela nous bouleverse alors d’autant plus qu’elle se déploie dans les plis d’une mise en scène au charme paradoxal, aussi sépulcrale et inhospitalière qu’indéniablement enivrante.

Comment avez-vous rencontré Vitalina Varela ?

Pendant le tournage d’un précédent film, un ami de Cova da Moura m’a dit : « Il y a cette maison, un type y est mort, on ne sait pas grand-chose. » On s’est approchés, la porte s’est ouverte et Vitalina est apparue, tout en noir. Je suis revenu le lendemain et elle a commencé à me raconter : son enfance, son mariage, la fuite de son mari, son exil désespéré au Portugal. Ce film, c’est Vitalina tout entière.

TROIS QUESTIONS À PEDRO COSTA

Comment avez-vous rencontré Vitalina Varela ?

Pendant le tournage d’un précédent film, un ami de Cova da Moura m’a dit : « Il y a cette maison, un type y est mort, on ne sait pas grand-chose. » On s’est approchés, la porte s’est ouverte et Vitalina est apparue, tout en noir. Je suis revenu le lendemain et elle a commencé à me raconter : son enfance, son mariage, la fuite de son mari, son exil désespéré au Portugal. Ce film, c’est Vitalina tout entière.

Comment avez-vous jonglé entre le quotidien de Vitalina et votre travail de cinéaste, le tournage ayant duré plusieurs mois ?

Pour moi, réaliser un film, c’est être là. La routine et la répétition des journées écrivent l’histoire. Cette patience manque aujourd’hui beaucoup. Les grands cinéastes qui y avaient recours ont disparu, et l’économie qui la rendait possible s’est abâtardie. C’est un effort que l’on trouve déraisonnable, alors que c’est le temps perdu qui nous permet d’apprendre ce que peut bien être un film. 

Votre mise en scène revient-elle à rejouer l’enfermement pour mieux s’en libérer, comme dans la dernière scène ?

Vitalina est longtemps restée prisonnière de sa rage. J’ai vite compris que le film pourrait l’accompagner : vers sa défense, sa vengeance, les adieux qu’elle n’a pas pu faire. Il aurait donc été stupide de la laisser enfermée. Je me suis dit : quitte à faire ce dernier pas, faisons-le en grand.

Vitalina Varela de Pedro Costa, Survivance (2 h 04), sortie le 12 janvier

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