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Vu au Festival de Gérardmer : « The Watcher » de Chloe Okuno, tel est vu qui croyait voir

  • Léa André-Sarreau
  • 2023-01-27

Sous un apparent classicisme, cet habile thriller paranoïaque transforme sa filiation hitchcockienne en variation sur l’isolement et l’étouffement de la parole féminine.  

Le pitch et le titre du premier film de l’Américaine Chloe Okuno (passé par le Festival de Sundance en compétition officielle) annonce d’emblée une parenté – bien réelle - avec Fenêtre sur cour (1954). A ceci près. Dans le film d’Alfred Hitchcock, Jeff (James Stewart), photographe immobilisé par un plâtre et persuadé d’avoir décelé un meurtre en face de chez lui, trouve deux complices (Grace Kelly et Thelma Ritter) qui le croient sur parole et l’aident à résoudre l’affaire. The Watcher obéit au mouvement inverse.  

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Soit une femme, Julia, (Maika Monroe, révélée dans It Follows), actrice américaine tout juste expatriée en Roumanie pour accompagner son mari (Karl Glusman) fraîchement promu. Rapidement, elle se persuade qu’un voisin de l’immeuble d’en face (Burn Gorman) l’épie derrière ses rideaux, la file au cinéma et au supermarché du coin. Bien-sûr, ni son mari, adorable mais absent, ni sa voisine d’à côté Irina (Madalina Anea), confidente frivole – le film esquisse avec subtilité la naissance de cette sororité à l’ombre de l’indifférence masculine – n’écoutent ces lubies.  

Le véritable sujet du film n’est donc pas le voyeurisme. Il sert surtout de prétexte à une mise en scène dialectique et interlope, pensée comme un jeu du chat et de la souris, où chacun est d’abord vu parce qu’il veut voir (« Est-ce que cet homme t’observe, ou est-ce qu’il observe la femme en train de l’observer ? » dira le mari). Ce qui intéresse la réalisatrice, c’est le regard objectivant, voire néantisant, que les autres portent sur Julia. C’est une belle femme, tout le monde lui dit, elle le sait. Réduite à cette fonction d’ornement, elle erre dans la ville, dans son appartement, comme une femme au foyer fantomatique qui rehausserait le décor. Les collègues de son mari ne jugent pas utile de lui traduire leurs conversations en roumain – façon de la réduire à son apparence muette et superficielle, de discréditer ses soupçons. En somme, de la faire taire.  

En subvertissant ce trope misogyne de la femme paranoïaque et mythomane, bonne à regarder, mais pas à écouter, Chloe Okuno met en évidence notre propre aveuglement à ce sujet. Au début du film, un long travelling arrière, inébranlable dans sa trajectoire, s’éloigne des fenêtres de l’appartement du couple, alors qu’ils font l’amour. Comme pour mettre le spectateur dans la peau du futur voyeur, guère plus dangereux que tous ses hommes autour de Julia qui nient son instinct. 

Tout procède, dans ce thriller à combustion lente, d’une mécanique tendue, d’un malaise glaçant, où la sophistication des mouvements de caméra et des profondeurs de champ préparent en silence un drame impossible à nommer. Il surgira au dernier moment, à la faveur d’un regard-caméra cathartique et jubilatoire, adressé comme un affront à ceux qui voudraient détourner les yeux de la vérité. 

The Watcher de Cloe Okuno, 1h36, sortie prochainement 

Image (c) Universal Pictures Content Group

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