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A revoir en salles : « Récit d’un propriétaire » de Yasujirō Ozu 

  • Léa André-Sarreau
  • 2023-10-17

À l’occasion des ressorties en salles de plusieurs films du cinéaste japonais, retour sur cette chronique humaniste qui imagine, telle une parabole de la guérison du Japon d’après-guerre, la création d’une famille adoptive.  

L’art – peut-être faudrait-il parler d’artisanat - de Yasujirō Ozu tient à la technique la plus primaire du cinéma : des champs contre champs silencieux, qui muent à mesure que ses personnages s’ouvrent au monde. Il fallait la projection de Récit d’un propriétaire sur grand écran pour se rappeler l’éclatante modernité de ce dispositif, aussi ascétique que bouleversant. Dans cette œuvre rare de 1947, Ozu raconte l’histoire d’une veuve revêche, allergique aux enfants, forcée d’accueillir un gosse perdu dans les rues de Tokyo, dont elle va s’enticher.  

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Derrière cette trame mélo, il y a d’abord la métaphore du Japon d’après-guerre, meurtri dans sa chair, ses traditions et ses croyances - le thème, comme une colonne vertébrale du cinéma d’Ozu, revient dans Printemps tardif, Crépuscule à Tokyo, Eté précoce. Comment continuer d’aimer malgré une humanité qui a révélé son pire visage ? Comment triompher de la barbarie en renouant avec la filiation ?

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Ozu s’empare de ces grands défis philosophiques par la petite porte, le micro-détail, l’angle affectif. La fausse simplicité de sa mise en scène (une caméra fixe, à hauteur de tatami, un découpage chirurgical sur les visages impassibles, que le spectateur doit déchiffrer comme des pages blanches) frappe d’autant plus qu’elle cerne la complexité des rapports humains. Il désamorce le misérabilisme de son récit en lui donnant des airs de chronique légère et triviale : le quartier populaire de Tokyo et ses habitants sont autant de personnages haut en couleurs, légèrement burlesques, jamais réduits à leur sort social. Quant aux artères délaissées de la ville, elles deviennent un terrain de jeu, où Ozu déploie son goût pour les surcadrages – des portes intérieures, des fils de linge étendus, qui donnent à ce microcosme des airs de théâtre de kabuki. 

Avec ce cadre architecturé, cette rigueur formaliste, il s’agit, paradoxalement, de tenter de reconstruire, de faire famille, de réparer une fracture – physique, sociale, affective. Wim Wenders, grand admirateur d’Ozu qui lui a consacré son documentaire Tokyo Ga en 1983, l’a exprimé mieux que personne : « Les films d’Ozu parlent du long déclin de la famille japonaise, et par-là même, du déclin d’une identité nationale. Ils le font, sans dénoncer ni mépriser le progrès et l’apparition de la culture occidentale ou américaine, mais plutôt en déplorant avec une nostalgie distanciée la perte qui a eu lieu simultanément. Aussi japonais soient-ils, ces films peuvent prétendre à une compréhension universelle. »   

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