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Bonnie Banane, lauréate du Prix Joséphine 2024 : « Faire de la musique m’a montré que j’étais quelqu’un qui ne lâchait jamais l’affaire »
- Wilfried Paris
- 2024-09-30
[INTERVIEW] [MUSIQUE] Pour la troisième édition du Prix Joséphine, un jury d'artistes a récompensé la chanteuse parisienne Bonnie Banane, qui avait enflammé le festival Cinema Paradiso en 2022, pour son album Nini. Une distinction méritée pour une artiste fantasque et poétique, hyper moderne et hyper sensible, au style éclectique et pourtant immédiatement identifiable.
Se positionnant en alternative aux Victoires de la Musique (comme Les Flammes pour la scène rap), le Prix Joséphine des artistes distingue chaque année des albums selon le seul critère de la qualité artistique, sans considération de genre musical ni de notoriété.
Après November Ultra en 2022 et Tuerie en 2023, son jury, présidé cette année par le rappeur Disiz (ex la Peste) et réunissant onze musiciens venus d’univers musicaux variés (la chanteuse Izïa, le jazzman Bachar Mar-Khalifé, le compositeur électro Rone…), a récompensé Bonnie Banane, pour son deuxième album Nini.
Depuis son premier single Muscles en 2012, l’autrice-compositrice-interprète parisienne a su imposer sa voix, entre Brigitte Fontaine (poésie et théâtralité) et Catherine Ringer (fantaisie et acidité), en anglais et en français, avec un sens du placé, du phrasé et de la caractérisation sans égal par chez nous.
Dans une ouverture musicale joyeusement assumée, son répertoire s’offre comme un florilège d’exercices de style, R&B, hyperpop, chanson, great black music, dont le fil rouge est la personnalité fantasque, sensible et puissante de la chanteuse.
Avec le trompettiste Jonoya et le multi-instrumentiste Monomite, Nini (son surnom enfantin) montre les multiples facettes de Bonnie Banane, entre colère (Franchement, Hop-là), rêverie romantique (Sacha, Nap Song) ou introspection (Karma Song, Pas besoin). On a appelé Bonnie pour avoir sa réaction suite à la remise du Prix Joséphine.
Le jury du Prix Joséphine est composé d’artistes, de musiciens, dans des genres très divers. Qu’ils se soient accordés sur ton album, tu en penses quoi ?
Mon album est très éclectique, comme je le suis moi-même en écoutant toutes sortes de musiques très différentes, en pratiquant et en consommant des formes d’expressions artistiques très différentes aussi [passée par le Conservatoire national d'art dramatique, Anaïs Thomas, de son vrai nom, est également actrice, notamment chez Bertrand Mandico et Bertrand Bonello, ndlr]. Être ainsi récompensée par un jury composé d’artistes qui viennent d’horizons très différents, qu’ils se soient ainsi accordé.es autour de mon album, c’est hyper aligné avec ma manière de concevoir la musique, la culture, et ça me fait donc très plaisir.
Symboliquement, ce prix valorise tout le travail qu’on a fait sur cet album, avec toute l’équipe. On le prend comme un bonus, un super compliment. Et concrètement, j’espère que ça va remettre un coup de projecteur sur le disque, sur la tournée en cours.
Il y a cette citation de Disiz, le président du jury, sur le site du Prix Joséphine : « Comme tout le monde, j’ai commencé à faire de la musique par imitation. Puis, j’ai cherché à faire mon truc, à me démarquer… C’est quand j’ai arrêté de penser à tout ça que les choses se sont enfin déclenchées. Il fallait juste que je trouve le courage et l’audace de faire ce que je ressentais, comme je le ressentais. Le Prix Joséphine s’inscrit quelque part dans cette démarche, je suis honoré d’en présider la troisième édition. » Est-ce que tu penses avoir suivi un peu le même chemin, dont Nini serait, sinon un aboutissement, au moins un tournant ?
Oui, dans la vie, il y a quand même de grandes étapes. Quand tu commences en tant que jeune artiste, tu recraches un peu tout ce que tu as appris de tes idoles, des musiques qui t’ont traversées. Tu te cherches, tu n’as pas encore ton style. Les jeunes artistes qui ont déjà leur propre patte, c’est rare, exceptionnel, parce que c’est quelque chose que l’on acquiert avec le temps.
Je suis hyper d’accord avec Disiz : ce que j’apprécie chez les artistes, quelle que soit leur discipline, c’est quand ils ont leur style à eux, quand on peut les reconnaître à leur voix, leur son. Sans l’avoir vraiment conscientisé, j’ai l’impression d’avoir aiguisé mon style. Avec Nini, je pense que j’ai fait un peu mieux les choses que sur l’album précédent. J’avais envie de faire un album au présent. Je pense tout le temps que ce sera le dernier album, parce que, par nature, je pense tout le temps à la mort, comment dire au revoir aux choses, comment les quitter.
Là, je prépare mon concert à l’Olympia le 1er décembre, ce sera mon premier Olympia et je me dis que ce sera peut-être le dernier. C’est ça aussi la mentalité de cet album. Par contre, le courage pour moi est toujours lié à la fierté : la musique m’a appris beaucoup de choses sur moi en tant que personne. Je ne pensais pas être quelqu’un de courageux, et faire de la musique m’a montré qu’en fait, j’étais quelqu’un qui ne lâchait jamais l’affaire. M’autoriser à faire des choses, assumer mes idées, c’est personnellement lié au fait que je m’en fous de rendre fier quelqu’un d’autre. Ça été important dans ma construction d’enfant à adulte, de femme, d’artiste. J’essaie juste de faire des trucs que je kiffe, qu’on kiffe tous ensemble, en studio, sur scène.
Vous n’êtes pas les seuls à kiffer. Tu as désormais en plus de la reconnaissance critique, ou de tes pairs, un public important, fidèle, qui vient nombreux à tes concerts. Comment vis-tu ce changement de statut ?
J’hallucine toujours de voir que les gens dans le public connaissent les paroles de mes chansons. Ça donne vraiment le vertige de voir qu’ils se sont appropriés mes textes, qu’ils les chantent avec moi. C’est une récompense directe. Le Prix Joséphine, c’est le prix des « collègues ». M’inscrire dans une génération d’artistes, dans un « milieu », je n’y pense jamais vraiment, parce que je suis trop solitaire dans ma tête je crois. Mais quand ça arrive, avec un prix comme ça, cette reconnaissance est hyper agréable aussi évidemment. Mais il faudra vraiment que je leur demande pourquoi ils ont choisi mon album !
Bonnie Banane – Nini (Péché Mignon/Grand Musique Management/IDOL)
Actuellement en concert en France, à l’Olympia à Paris le 1er décembre
Image de couverture : Bonnie Banane et Luidji (lauréat du Prix Joséphine 18/20ans) © Louis Comar