Cannes 2024CinémaPETIT ÉCRANCultureQUEER GAZEDIVINE GANGI.A. QUOI ?Le magazine
  • Critique
  • Article
  • 4 min

« Quitter la nuit » de Delphine Girard : un grand film post MeToo

  • Laura Pertuy
  • 2024-03-15

[Critique] Auréolée du retentissement d’« Une soeur », son court métrage nommé aux Oscar en 2020, Delphine Girard règle son premier long sur les mêmes prémisses et à la bonne fréquence. Dans l’écoute minutieuse de ses personnages, la Belgo-Canadienne suit trois trajectoires percutées par un même drame.

La voix s’agite dans le combiné. Filmée de dos sur le siège passager d’une voiture, une femme semble s’adresser à sa sœur au téléphone alors qu’un homme la conduit dans la nuit sans un mot. Son interlocutrice, que l’on découvre après un cut glaçant, n’est autre qu’Anna (Veerle Baetens), agente assignée à un centre d’écoute de nuit de la police, qui s’accroche aux quelques indices d’une situation dont elle tente d’évaluer l’urgence.

Si Dary (Guillaume Duhesme), le conducteur, est intercepté, pour Aly, (la révélation Selma Alaoui), mère célibataire qui dépose une plainte pour viol, une interminable nuit se poursuit. Projetée dans un quotidien où prédominent des couleurs passées, l’héroïne cherche ensuite, de longs mois durant, une aurore. Le film de Delphine Girard, remarquable par la tension qu’il installe dans sa scène d’ouverture – avec cette tentative de dialogue conditionnée par la vitesse du véhicule assortie des soupçons grandissants du conducteur –, ne délaisse ensuite jamais Aly. Quitter la nuit semble même, dans son rythme, se caler sur son souffle, accompagner ses silences, au diapason d’une vie qui se poursuit lestée d’un poids.

Une constellation de personnages vient ajouter sa petite musique, parfois dissonante, à son récit. C’est sûrement la prouesse du film que de ne silencier personne, mais au contraire de faire face à la complexité du parcours de « l’après » pour toutes les parties. Sans jamais excuser Dary, mais en un questionnement sincère sur les raisons de ses actes, le film tend l’oreille. Ce temps précieux de l’écoute que Quitter la nuit offre à ses personnages déclenche également une circulation de la parole, parmi les femmes du récit d’abord, mais aussi entre générations, sur le terrain de l’intime. S’en dégage, par un jeu d’une précision inouïe et un vrai sens du cadre, une générosité précieuse, très éclairée, sur ce type de sujet.

TROIS QUESTIONS À DELPHINE GIRARD

QU’est-ce qui vous a incité à déployer le film sur une forme longue ?

Après la sortie du court métrage, je sentais que quelque chose ne s’était pas refermé, que des personnages se baladaient encore dans ma tête. Le film est tiré d’une histoire vraie, et j’avais appris que la jeune femme victime ne s’était pas présentée au procès. C'est pourquoi je ne voulais pas rester sur un sentiment de « happy end ». J’avais envie d’explorer ce qui se passait après le moment « spectaculaire ».

Comment avez-vous approché le choix clivant de donner une place à Dary ?

C’était dans l’intention de départ, mais l’écriture a emprunté un chemin plus ardu. J’ai besoin de ne pas juger lorsque j’écris, de chercher ce qui me relie au personnage. Je me suis retrouvée face à la confusion de Dary, au brouillard autour de lui. Ça m’intéressait, dans la fiction, de créer des circonstances pour que le voile se lève.

Le film remet en question l’écoute partielle que peuvent proposer la police et la justice dans certains cas d’agression sexuelle...

J’ai rencontré toute la chaîne des policiers qui accompagnent ces affaires ; ils ont relu les scènes avec moi. Je voulais comprendre comment on arrive à un tel rendez-vous manqué autour de ces « dossiers gris », cas où il n’y a pas de preuves et qui demandent énormément de travail avec peu de chances d’aboutir. Tout le monde espère que le système se montre irréprochable, sans succès.

Quitter la nuit de Delphine Girard, Haut et court (1 h 48), sortie le 10 avril

Inscrivez-vous à la newsletter

Votre email est uniquement utilisé pour vous adresser les newsletters de mk2. Vous pouvez vous y désinscrire à tout moment via le lien prévu à cet effet intégré à chaque newsletter. Informations légales

Retrouvez-nous sur