Julia Kowalski, réalisatrice de « Que ma volonté soit faite » : « J’avais envie de redonner à la sorcière ce pouvoir originel qu’on a édulcoré. »

La cinéaste nous avait déjà envoûtés avec « J’ai vu le visage du diable » (2023), moyen métrage sidérant. Elle nous ensorcelle encore plus avec « Que ma volonté soit faite », dans lequel une jeune fille (incroyable Maria Wróbel) se trouve animée de puissants pouvoirs une fois son désir éveillé par sa fascinante voisine (géniale Roxane Mesquida). La réalisatrice nous parle de ce grand film de genre sur la queerness, et des forces occultes qui l’animent depuis l’adolescence.


julia kowalski e1764758640531
Julia Kowalski © Julien Liénard

« Dans le film, la figure de la sorcière est centrale. Pourtant, il n’y en a pas vraiment, ou du moins, on ne sait jamais très bien ce qui se passe. C’est volontairement trouble, jamais explicité. Le film ne se déroule pas au Moyen Âge, on s’éloigne des codes du genre : on n’est ni dans Harry Potter, ni dans le conte. On est dans le monde réel.Alors, qu’est-ce qu’être une sorcière aujourd’hui ? Pour moi, c’est une femme qui perturbe l’ordre établi, une figure de rébellion, quelqu’un qui assume ses désirs. Le désir est un thème immense dans le film. Je ne crois pas qu’il doive être enfermé dans des catégories. Tout est possible : on explose tout, on brûle tout. J’avais envie de redonner à la sorcière ce pouvoir originel qu’on a édulcoré, après l’avoir passée à la moulinette de Disney et des productions commerciales.

Ado, j’avais des grimoires, du matériel, un nom de sorcière – qui doit rester secret. J’ai été initiée par une sorcière dont je dois taire le nom aussi. Une de mes spécialités, c’étaient les philtres d’amour. Ça marchait très, très bien. C’est marrant, parce que parfois, encore maintenant, dans ma tête, je fredonne les formules. Je les connais par cœur. J’ai arrêté à un moment, quand je me suis rendu compte que c’était trop efficace. J’ai eu un peu peur. Par exemple, j’ai un calice — une coupe qui a été sacralisée par cette sorcière.

Aujourd’hui, ce calice, c’est mon pot à crayons. Personne ne sait ce que c’est. Mais moi, je connais la valeur de cet objet, que j’ai moi-même construit. J’avais aussi écrit en runes mon nom de sorcière avec mon sang, c’était tout un rituel, ça allait loin. C’était une façon de m’émanciper — de ma vie, de la réalité. Et peut-être aussi une manière de comprendre ce que c’est qu’être une femme. Parce que je crois que c’était une façon de le devenir, en fait. Je ne sais pas ce que c’est, qu’être une femme, je n’en ai aucune idée. Et je pense que cette pratique de sorcellerie que j’ai eue adolescente, c’était une façon d’enquêter sur la féminité.

Je me sens toujours un peu monstrueuse, différente — même adulte, ce sentiment ne m’a jamais quittée. C’est vraiment pour ça que j’ai eu envie de faire ce film : parce que j’ai l’impression qu’il y a toujours en moi des choses enfouies, cachées, retenues, un peu frustrées, que j’ai du mal à exprimer, et que je trouve étranges. J’ai été comme possédée pendant la préparation. J’ai eu une allergie, avec des gonflements sur les paupières, façon Elephant Man. Ça ne m’était jamais arrivé de ma vie, personne ne savait ce que c’était. J’ai fait des tests, il n’y avait rien. C’était comme un phénomène surnaturel, dû au film. Et ça s’est arrêté le premier jour du tournage. J’ai parfois l’impression d’être tordue, d’être attirée par des choses à la fois dégueulasses et fascinantes. Et je crois que ça fera toujours partie de moi. Pour moi, il y a une question là-dedans. Si je ressens ça, je me dis que d’autres doivent le ressentir aussi. Enfin, j’espère. »

Que ma volonté soit faite de Julia Kowalski (New Story, 1h35), sortie le 3 décembre