Sylvain Chomet : « Pagnol a en quelque sorte sauvé le cinéma français après la guerre. »

Réalisateur d’animation réputé pour « Les Triplettes de Belleville » et le film-hommage à Jacques Tati « L’Illusionniste », Sylvain Chomet revient au cinéma avec « Marcel et Monsieur Pagnol », qui retrace les grands moments de la vie de l’écrivain, dramaturge et cinéaste provençal ayant marqué le vingtième siècle de son empreinte. L’occasion de répondre à nos questions sur la fabrication de cet atypique et mélancolique biopic animé.


marcel pagnol
Wild Bunch Distribution

Marcel et Monsieur Pagnol peut se voir comme un imposant biopic rempli d’informations sur la vie d’un célèbre artiste français, mais il s’en dégage surtout une étonnante douceur…

Oui, car c’est ce que je sentais dans le travail de Marcel Pagnol. Son œuvre abordait souvent des sujets très durs mais avec une douceur et une verve touchantes. Il a raconté des destins tragiques de filles-mères abusées par de beaux mecs séduisants qui s’avéraient être de sales types ; et les personnages en apparence plus rustres, comme ceux joués par Raimu, avaient à l’inverse plus de tendresse et d’humanité. Ce travail sur les anti-héros me plaît beaucoup. La douceur du film vient aussi de Laurent Lafitte, qui prête sa voix à Marcel Pagnol. On a fait venir un coach marseillais pour superviser l’accent de Laurent mais il n’y a quasiment rien eu à faire tant il a réussi à créer un personnage tendre dont la voix vieillit peu à peu. Et d’un point de vue graphique on voulait un décalage entre l’univers de Paris, qui ressemble à celui des Triplettes de Belleville avec des couleurs vertes, et celui de Marseille où il fallait que ce soit plus chaud, avec des couleurs orangées plus proches de celles du Sud.

Qu’avez-vous découvert vous-même de Pagnol durant toutes ces années de travail sur sa vie ?

Le film se passe de 1905 à 1974 et ça m’a fasciné de voir à quel point les choses allaient vite au vingtième siècle. Au niveau des inventions, le monde changeait à une vitesse hallucinante, bien plus qu’aujourd’hui. Quand Pagnol est né en 1895, c’était l’invention du cinéma mais aussi le début des voitures, de l’aviation, de la téléphonie, de la radio. Il a aussi vécu l’arrivée de la télévision. Mêmes les modes vestimentaires changeaient tous les 5 ans, chez les femmes comme chez les hommes. Et Pagnol adorait tout ce qui avait trait aux inventions, il avait un côté ingénieur. J’espère d’ailleurs que le film transmettra cette envie de créer et donnera aux enfants l’idée de dessiner ou d’écrire. Marcel Pagnol a ainsi écrit depuis qu’il était gamin. Faire quelque chose à partir d’une feuille de papier est tellement précieux, que ce soit un dessin, un poème ou autre.

Vous insistez à un moment du film sur la manière dont Pagnol a défendu l’exception culturelle française en soutenant par exemple le développement du cinéma français après la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi un tel rappel ?

Même s’il était américanophile et qu’il a été professeur d’anglais, Pagnol craignait que la culture américaine n’engloutisse des pans entiers de la culture française. Dans le film, j’ai simplement illustré ce qu’il avait écrit en reprenant dans une séquence un texte original de Pagnol sur le sujet. Il connaissait évidemment la force de communication du cinéma et savait qu’on pouvait manipuler le public avec des images. Il a en quelque sorte sauvé le cinéma français après la guerre. C’était un peu un rebelle, Pagnol, il aimait mettre les pieds dans le plat. Et malgré ça, c’est touchant de voir qu’il ne croyait pas toujours en lui. Il avait besoin d’être entouré de gens qui le poussaient. Au début de sa carrière de dramaturge dans les années 1920, il ne croyait pas du tout qu’une pièce en langue marseillaise pourrait fonctionner. Et finalement c’est son œuvre qui a popularisé la langue des Marseillais auprès du reste du pays, c’est incroyable.

● ● À  LIRE AUSSI ● ●  Marcel Pagnol, un brillant cinéaste de l’avant-garde à redécouvrir

Marcel et Monsieur Pagnol de Sylvain Chomet (Wild Bunch, 1h30), sortie le 15 octobre