
« Fruit de la passion, en cornet s’il vous plait. » Sur la plage cannoise et orageuse où on la retrouve pour prendre le goûter (à l’heure de l’apéro), Nadia Melliti a fait un choix de glace qui lui ressemble : original, déterminé, un brin provocateur. « Pourquoi la passion [qu’elle prononce avec un petit accent italien] ? Parce que je suis une meuf très passionnée, qui fait tout à fond dans la vie. J’aime les défis. » Nadia Melliti, 23 ans, a un feu sacré, une ardeur qui vous brûle quand vous l’approchez. Une après-midi banale, sur les quais parisiens du Pont-Neuf, elle a tapé dans l’œil d’Audrey Gini, directrice de casting. « Elle m’a arrêté et m’a dit : ‘J’adore comment tu marches’ ».
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Opiniâtre, bien ancrée au sol, la silhouette abrite un caractère timide – et intimidant. Le paradoxe a dû plaire à Hafsia Herzi, qui l’a choisie pour être « la petite dernière » de son film éponyme, présenté à Cannes en Compétition officielle. Et aux membres du Jury, qui lui ont décerné le Prix d’interprétation féminine. Adapté d’une autofiction de Fatima Daas, La Petite Dernière (également lauréat de la Queer Palm) raconte l’éducation sentimentale et sensuelle d’une jeune Française d’origine maghrébine, lesbienne, originaire de Clichy-sous-Bois, musulmane pratiquante, qui aime les mots autant que prier. Comment concilier ces identités, que l’époque a proclamé contradictoires ? De la cuisine familiale aux bancs de la fac, des fêtes parisiennes snobs aux clubs LGTBQA+, Fatima va éprouver dans sa chair l’extase des corps, la violence de classe, l’impuissance des institutions à s’emparer de ses questionnements existentiels.
Il fallait le jeu têtu, endurant de Nadia Melliti pour que toute cette complexité s’incarne. « Le côté sportif, que Hafsia a beaucoup aimé. Du cœur, de la compréhension, de la sensibilité » balance-t-elle du tac au tac quand on lui demande ce qu’elle a mis d’elle dans le rôle. Rien d’étonnant. L’étudiante en Staps, fan de foot (« pour l’esprit d’équipe et la technique »), nous a mis au défi, quelques secondes plus tôt, de sprinter jusqu’à la mer. Dans le film, Hafsia Herzi puise l’énergie ténébreuse de son actrice, astre sur lequel se projette parfois des ombres – Fatima vivra son premier chagrin d’amour avec une infirmière, incroyable Ji-min Park, révélée dans Retour à Séoul.
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Le jeu opaque de Nadia Melliti, qui oscille presque imperceptiblement entre douleur rentrée et émancipation lumineuse, rappelle la rage et l’érotisme de Hafsia Herzi chez Abdellatif Kechiche (avec qui elle a tourné La Graine et le mulet en 2007). Il y a chez les deux une forme de naturel devenu exceptionnel, un don pour transformer des scènes triviales en sommets d’intensité. Un penchant commun, aussi, pour les grandes histoires d’amour qui fendent le cœur : « ‘L’Amour ouf’ de Gilles Lellouche, j’ai adoré, cette transition entre l’adolescence et l’âge adulte, on est fous amoureux puis on se perd… »
« Face à la mer », comme elle le chante si bien sur l’air de Calogero, la glace de Nadia Melliti a eu le temps de fondre, mais pas son mystère. On n’a pas eu le temps de percer tous les secrets de celle qui ne sait pas encore qu’elle sera sacrée lors de la cérémonie de clôture cannoise. Sans doute parce que sa curiosité l’a poussée à nous retourner toutes les questions posées (« Vous ne voudriez pas être actrice ? », « Si je devais avoir un super pouvoir, ce serait de voler, et vous ? ».) En attendant, on sait que pour elle, « concilier l’acting et être prof d’EPS, ce serait magnifique. » On prédit que son avenir le sera.