CANNES 2025 · « L’Agent secret » de Kleber Mendonça Filho : puzzle virtuose à Récife

Sous les airs d’un film de traque situé en 1977 pendant la dictature brésilienne, Kleber Mendonça Filho signe une flamboyante œuvre labyrinthique sur la mémoire des traumatismes, avec un Wagner Moura renversant. En compétition au Festival de Cannes 2025.


lagent secret
© Victor Juca

Wagner Moura a remporté le prix de la meilleure interprétation masculine au Festival de Cannes 2025.

Après Bacurau, brutal thriller d’anticipation qui reçut le Prix du Jury à Cannes en 2019, Kleber Mendonça Filho a sorti en 2023 le nettement plus apaisé Portraits fantômes. Ce grand écart entre violence du monde et désir de douceur se trouve justement au cœur de L’Agent secret, récit d’une traque située en 1977. Le quadragénaire Marcelo (Wagner Moura, époustouflant) quitte São Paulo pour débarquer à Recife. Fuyant un passé mystérieux, ce veuf, père d’un jeune fils, s’installe dans une communauté d’individus qui cachent tous des secrets. Car le Brésil est alors plongé en pleine dictature militaire (1964-1985) et la quête de quiétude de Marcelo va se révéler impossible quand il apprend que des tueurs sont à ses trousses.

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Réussissant une fascinante reconstitution esthétique et musicale du Brésil des années 1970, le réalisateur des Bruits de Recife et d’Aquarius crée dès la première séquence une tension suffocante au cœur d’une station-service désertique écrasée par le soleilSous forme d’un puzzle narratif va ensuite se déployer durant 2h30 une avalanche de visions perturbantes (un étrange chat à deux têtes, une jambe arrachée courant dans les rues nocturnes), tandis que différents genres filmiques – thriller historique, récit d’espionnage, gore, film de gangsters, conte sensuel initiatique – s’entremêlent pour mieux illustrer la complexité labyrinthique du cauchemar politique qui s’abat sur le personnage principal.

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Kleber Mendonça Filho confirme son talent unique pour faire naître progressivement les contours de situations où se déchaîne toute l’étendue de la cruauté humaine et où les bonnes âmes tentent difficilement d’échapper à une pression asphyxiante. Au bout de ce film à l’ampleur émotionnelle sidérante, la folie des hommes ne concerne plus uniquement la dictature brésilienne des années 1970 mais un grand nombre de récits oraux et d’expériences existentielles narrées à travers le temps. Si le chaos de 1977 renvoie aussi à celui de 2025, L’Agent secret sait ménager un espace de respiration dans son ultime séquence grâce à la rencontre entre deux personnages qui discutent sur le site d’un ancien cinéma et réinstaurent, au milieu de la férocité du monde, le précieux pouvoir du lien et de la curiosité pour la vie des autres.

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