CANNES 2025 · « Enzo » : un portrait de la jeunesse ultra-sensible et puissant

Film d’ouverture et première sensation forte de la Quinzaine des cinéastes, le film de Laurent Cantet, réalisé par son ami Robin Campillo après la mort du cinéaste le 25 avril 2024, se fait l’écho subtil d’une jeunesse dont la quête d’idéal se fait percuter par la guerre en Ukraine. À la fois trouble et solaire, ce récit ample est à l’intersection précise des œuvres de ces deux cinéastes, dont la grande complicité (qui n’empêche pas les contrastes) saute aux yeux.


Enzo (c) Les Films de Pierre
Enzo (c) Les Films de Pierre

La Ciotat, sur la côte méditerranéenne. Le soleil tape dans le décor sec d’un chantier bétonné. Les ouvriers, dont les corps fatigués sont mis à rude épreuve, bûchent au son de cigales qui semblent n’avoir jamais chanté aussi fort. Dans Enzo, la tension est là, tout de suite, inévitable. Le film zoome très vite sur cet apprenti maçon de 16 ans qui donne son prénom au film. Beau et mystérieux (impressionnant Eloy Pohu, dont c’est le tout premier film), il se révèle peu doué pour ce métier vers lequel il s’est dirigé pour une seule et unique raison : faire scission avec sa famille bourgeoise (son père est prof, sa mère incarnée par la géniale Elodie Bouchez, est ingénieure, tandis que son frère se prépare à aller à Paris pour intégrer en prépa le prestigieux lycée Henri IV). Enzo enrage en particulier de l’attitude de son père (l’acteur italien Pierfrancesco Favino, étonnant), qui s’inquiète de cette soudaine rébellion. Qu’est-ce qui anime Enzo, le pousse à vouloir renoncer à ses privilèges, et même à se faire du mal ? 

Dans ses films, Laurent Cantet (Palme d’or pour Entre les murs en 2008) posait un regard toujours juste sur la jeunesse. Il lui ouvrait un espace d’expression rare, tout en exposant avec clarté la violence du monde social à laquelle elle doit faire face. Il s’apprêtait à tourner Enzo. Se sachant condamné, il avait confié la réalisation de son film à Robin Campillo (120 Battements par minute, Grand prix du jury à Cannes en 2017), son complice de toujours – ils ont régulièrement collaboré ensemble sur les films de Laurent Cantet, que ce soit au scénario ou au montage. Fidèle au projet de Laurent Cantet, Robin Campillo livre un drame très fort, forcément marqué par cette disparition.

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Tout en montrant comment l’architecture de la ville est imprégnée par la lutte des classes (les villas de riches dominent littéralement les appartements bas et excentrés des ouvriers), la caméra fait progressivement corps avec Enzo,  désépaissit le mystère qui l’entoure en ajoutant des couches d’analyse et d’éléments à son complexe social extrême – le film fabrique un parallèle hyper percutant entre les bâtiments et le corps de cet adolescent en construction, en pleine découverte de son désir (sublime scène de piscine avec Malou Khebizi qui montre l’apprentissage du plaisir). Un corps adolescent qui fait aussi l’objet de fantasmes, de regards objectivants et de pression de la part des adultes – ce que le film, très fin, ne manque pas de soulever. 

À l’exploration sensuelle mais jamais fétichisante à laquelle il invite, le film greffe d’autres dimensions, comme lorsqu’Enzo se prend de fascination pour Vlad, un collègue du chantier et exilé ukrainien plus âgé (il a 25 ans) qui a fui la guerre dans son pays, et chez qui Enzo va trouver refuge. Ce n’est pas le seul, mais c’est l’un des plus beaux paradoxes pensés par le film, dont la mise en scène hyper solaire contrebalance le fil spleenétique et dense que tisse cette histoire entêtante, qui témoigne d’une fusion parfaite et fluide entre la vision de Robin Campillo, toujours expressive, et celle de Laurent Cantet, teintée d’une retenue plus mélancolique, mais tout aussi sensible et alerte.

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