CANNES 2025 · « La Disparition de Josef Mengele » de Kirill Serebrennikov : au cœur des ténèbres

Après « Limonov », présenté en Compétition en 2024, le cinéaste-dissident russe Kirill Serebrennikov retrace les années d’exil de Josef Mengele, médecin SS d’Auschwitz-Birkenau qui se réfugia en Argentine après la guerre pour échapper à la justice allemande et israélienne. Un film vorace, métamorphe, à la lisière de la monstruosité plastique, comme pour questionner l’inhumanité de son personnage.


La Disparition de Josef Mengele
© Andrejs Strokins

Adapté du roman éponyme d’Olivier Guez, Prix Renaudot en 2017, La Disparition de Josef Mengele s’ouvre sur un cours d’anatomie. De nos jours, en Argentine, un groupe d’ados se ruent autour de leur prof de biologie pour étudier un crâne humain. Ce sont les ossements de Josef Mangele, médecin nazi baptisé « l’Ange de la mort », mystérieusement retrouvé noyé sur une place de Sao Paulo en 1979, sans avoir été jugé. Comment ce criminel de guerre, responsable d’assassinats de masse et d’expérimentations médicales abjectes durant la Shoah, a-t-il pu échapper à son mandat d’arrêt international, changer si facilement de peau et d’identité ?

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C’est l’anatomie de cette fuite, inconcevable et glaçante, que Kirill Serebrennikov explore au prisme d’une mise en scène éclatée, volontairement confuse, qui mute en permanence. D’abord récit d’espionnage nimbé dans un noir et blanc graphique et porté par une partition de freejazz, le film délaisse son élégance initiale pour se transformer peu à peu en un cauchemar éveillé, un film d’horreur à huis clos, lorsque Mengele se réfugie dans une ferme isolée.

À mesure que l’ex tortionnaire s’évanouit, s’efface littéralement des cartes et des mémoires, Serebrennikov radicalise son régime d’images. Plans séquences anxiogènes, prises de vue en grand angle, ellipses et retours en arrière – les époques et les lieux, du Brésil au Paraguay en passant par la Suisse, finissent par se confondre – sons envahissants… Tout procède de la perturbation sensorielle, de la nausée, du vertige. De cette hybridation du style, cet effet de trop-plein, Serebrennikov tire un film d’enquête dérangeant, un voyage au cœur du mal qui assume les zones d’ombre, dissèque froidement l’abjection sans chercher à l’expliquer.

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