Théo Christine : « Plus le rôle est éloigné de moi, plus ça va m’intéresser. »

En une quinzaine de films (« Suprêmes » ; « Vermines » ; « Vivre, mourir, renaître »…), Théo Christine s’est composé une filmo singulière, jamais là où on l’attend, mais toujours saisissant. Comme dans l’étonnant « Ollie », premier long d’Antoine Besse dans lequel il se métamorphose en ex-skateur cabossé.


Théo Christine
© Julien Liénard pour TROISCOULEURS

Dreadlocks, fausses dents et silhouette amaigrie, difficile de reconnaître l’acteur de 29 ans dans la scène d’ouverture d’Ollie. La démarche vacillante, il incarne Bertrand, un ancien skateur au parcours accidenté, vivant à la marge de la société périgourdine, qui prend sous son aile un ado passionné de skate. Une prestation intense qui s’ajoute à la déjà remarquable liste de rôles qu’il a incarnés ces dernières années.

Sous les traits de JoeyStarr dans Suprêmes d’Audrey Estrougo (2021), face à une invasion d’araignées dans Vermines de Sébastien Vaniček (2023), en jeune homme atteint du VIH-sida dans Vivre, mourir, renaître de Gaël Morel (2024) ou en apprenti volcanologue dans Magma de Cyprien Vial (2025), Théo Christine fascine par sa capacité à se transformer complètement en un autre personnage. Ollie ne fait pas figure d’exception et souligne même le dévouement total de cet artiste à son travail : pour ce tournage, il a perdu 15 kilogrammes en trois mois. 

MÉTHODIQUE 

« Plus le rôle est éloigné de moi, plus ça va m’intéresser. » Dans les bureaux parisiens de son agence artistique, où on le rencontre, Théo Christine réfléchit un instant à sa réponse avant de se livrer avec sincérité sur sa façon d’appréhender son métier. « Le cinéma est fait pour apporter de la compréhension dans des endroits où il y a des zones d’ombre. Pour offrir ça aux spectateurs, je dois comprendre ce que je joue. » Sa stratégie pour atteindre cet objectif ? Bosser à fond pour être au plus près de la vérité. Comme pour Ollie, pour lequel il a perfectionné ses compétences en skate, passé du temps avec des marginaux de Périgueux et adopté la mentalité de son personnage.

Ollie d’Antoine Besse
Ollie d’Antoine Besse ©Wayna Pitch

C’est en 2019, en pleine préparation pour Suprêmes, qu’il expérimente pour la première fois la method acting, une technique de jeu où un comédien souhaitant jouer de la manière la plus authentique possible cherche à devenir celui qu’il interprète. Il se forme alors à la danse, au chant, et se glisse dans la peau d’un JoeyStarr de la fin des années 1980, allant même jusqu’à prendre ses distances avec son père pendant le tournage pour coller à la réalité du film. « Ça demande des sacrifices, et tu ne peux pas fonctionner de cette manière à chaque fois, sinon tu deviens fou. Mais j’ai envie de travailler comme ça pour des projets que j’ai à cœur de défendre. » À le voir agiter nerveusement la jambe sur la chaise en face de nous, on l’imagine animé par une fougue presque impossible à contenir, une soif de faire bouger les lignes, qui transparaît dans sa filmographie.

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Tête d’affiche de films français audacieux comme Vermines, pur film de trouille, ou Ollie, premier film de skate de l’hexagone, Théo Christine soutient une vision réjouissante du cinéma français. « Il y a une nouvelle vague de jeunes réalisateurs prêts à prendre des risques, à faire passer l’artistique avant l’économique. J’ai envie de faire du Quentin Tarantino, du Martin Scorsese, du Jordan Peele, des frères Safdie, mais de le faire en France. »

Pour autant, il ne se ferme pas la porte de l’étranger et au détour d’une phrase, tease sa volonté d’y travailler (« Je ne l’ai pas encore beaucoup fait, mais ça va arriver »), tout comme son désir de continuer à collaborer avec Antoine Besse, réalisateur d’Ollie, qu’il qualifie de « Sean Baker français » ou Sébastien Vaniček, qui développe d’ailleurs actuellement un volet de la franchise horrifique Evil Dead aux États-Unis. Jamais à court d’envies, ce créatif exalté se verrait bien aussi camper une figure historique ou renouveler l’expérience du biopic musical. « Un film sur Henri Salvador, tiens, pourquoi pas », lâche-t-il sans crier gare.

VERMINES PHOTO2
Vermines de Sébastien Vaniček ©Tandem

SUR LES PLANCHES

Si le jeu de Théo Christine est si physique, c’est peut-être grâce à son passé de surfeur. Né en 1996, il grandit en Vendée près de l’océan, où il se passionne pour cette discipline qui lui inculque un fort esprit de compétition et lui offre la possibilité de voyager et de découvrir différentes cultures. Une ouverture sur le monde qu’il retrouve justement dans ce métier de comédien, qu’il décide de tenter presque sur un coup de tête. «Je sentais que je ne serais pas surfeur pro et je ne voulais pas faire un truc banal parce que je me lasse très vite. Un peu naïvement, je me disais qu’être acteur me permettrait d’avoir 10 000 vies différentes. »

Sur les conseils de sa sœur, il réalise un stage au cours Florent, découvre le théâtre puis enchaîne sur deux années de formation dans cette institution réputée. Fin 2018, il est pris au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, mais également pour incarner JoeyStarr dans Suprêmes. Il choisit le cinéma et laisse le théâtre derrière lui… en tout cas pour le moment. «Le théâtre me manque énormément, j’adorerais en refaire. Jouer pendant une heure et demie sans aucune pause, c’est une expérience que je n’ai pas encore trouvée au cinéma.» Affaire à suivre.

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