Yacine Saadi et Killian Querré : « On aime quand la comédie est puisée dans le quotidien. Le rocambolesque nous intéresse moins »

[INTERVIEW] « Sauce piquante » est le résultat espiègle et grisant de deux auteurs : Yacine Saadi et Killian Querré, qui reviennent pour nous sur leurs parcours et la genèse de cette websérie diffusée sur Instagram et TikTok, et qui suit trois colocs dans leurs désarrois quotidiens.


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Vous vous connaissez depuis vos années lycée à Bordeaux. Racontez-nous votre rencontre.

Killian Querré : Durant notre lycée, je tournais déjà des trucs tout seul de mon côté. J’ai demandé à Yacine de me prêter main-forte pour des choses que je ne réussissais pas à faire tout seul. C’est comme ça que l’on a commencé. On s’est rendus compte qu’on aimait les mêmes trucs et depuis on est restés copains et devenus collaborateurs. 

Yacine Saadi : J’étais en option cinéma et lui en S [scientifique, ndlr]. Ça a marché assez vite. Bon après, ce qu’on faisait était nul… 

Killian Querré : On a continué de tourner à la fac. Des courts métrages notamment.

Yacine Saadi : À l’époque, tu étais allé en fac d’éco gestion car tu visais un master de production et moi j’étais en fac de ciné. Je n’y allais pas souvent, ça ne m’intéressait pas beaucoup, puis il y avait un manque de pratique. C’est pour ça qu’on a fait la pratique à deux avec nos projets étudiants. Durant cette période, on devait faire une dizaine de courts sur deux ans, soit les nôtres, soit ceux des copains. Il y avait une grosse émulation à Bordeaux de jeunes réalisateurs et scénaristes motivés et qui souhaitaient créer. On réalisait au sein d’une association : Kino Session. Elle encourage justement les jeunes à produire des films de façon régulière. On a même intégré l’association, ce qui nous a permis de rencontrer des gens du milieu. C’est comme ça qu’on a découvert la réalisation et la comédie.

Killian Querré : Il n’y avait pas de barrières à l’époque. On tournait pratiquement nos films dans la foulée, directement après les avoir écrits. C’était le principe de cette association qui nous donnait des thèmes et qui nous laissait écrire et tourner. 

Yacine Saadi : Kino Session a été notre vraie école de cinéma, elle nous a permis de rencontrer des réalisateurs plus expérimentés qui nous ont inspirés.

Killian Querré : Même parmi les gens de notre âge, on a rencontré des personnes que l’on retrouve encore aujourd’hui sur les plateaux, aussi bien dans la publicité que sur Sauce piquante.

Est-ce que vous avez toujours su que vous vouliez travailler dans l’audiovisuel ? Quel a été le déclic ? 

KQ : Le déclic, c’est qu’il n’y avait que ça qui nous intéressait. Quand on a mesuré la place qu’avaient la création et la réalisation dans nos vies, le choix a vite été fait.

YS : Pour ma part, c’est vraiment depuis que je suis gamin que je sais que ça m’attire. Avant même de savoir concrètement ce qu’était le métier de réalisateur. Ma rencontre avec Killian me l’a presque confirmé.

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L’art cimente vraiment votre amitié. Est-ce que vous avez des œuvres favorites communes ? 

YS : Pour le cinéma, il y a quand-même Spielberg, Matrix de Lana et Lilly Wachowski ou encore les films de David Fincher

KQ : Globalement, on aime beaucoup les œuvres grand public et rentre-dedans. On ne s’est pas tellement construit une culture dite « cinéma d’auteur ».

YS : On respecte bien évidemment ce genre de films, il y en a que l’on aime d’ailleurs. Mais c’est vrai qu’on se retrouve plus dans ces références américaines et grand public.

KQ : À Bordeaux, on allait très souvent au cinéma ensemble et on a découvert plein de grands films. C’était l’époque où l’accès aux films s’est démocratisé, il y avait notamment le téléchargement et puis la carte d’abonnement dans les salles. C’était assez magique car dès qu’on voyait quelque chose on se recommandait des titres. Pour la série, le genre du sitcom nous a inspiré dans l’écriture de Sauce piquante.

Pourquoi ce genre vous inspire ?

YS :  C’est vraiment ce qu’on adore faire. On aime utiliser la comédie comme vecteur pour aborder des choses plus sérieuses, voire graves. Dans Sauce piquante ce n’est pas vraiment à l’œuvre, mais c’est ce vers quoi on aimerait se tourner.

Vous aviez des sitcoms chouchous en tête ?

YS : Comme référence, il y a Friends, évidemment. Il y a aussi It’s Always Sunny in Philadelphia (2005, FX), pour l’humour plus incisif.

KQ : Après, on s’est vraiment évertués à ne pas copier ces séries. Personnellement, je me suis interdit de regarder Friends pendant toute l’écriture, car le risque était de faire un pastiche raté. 

YS : L’objectif était vraiment de trouver notre propre ton ainsi que notre rythme. Dans Sauce piquante, on se permet de frôler l’absurde via le trio principal. Mais on ne va pas, par exemple, atteindre le cynisme de It’s Always Sunny in Philadelphia qui se permet de flirter avec le racisme, le sexisme, en vue de les dénoncer bien sûr. Et puis immense référence : Bref [la websérie destinée à YouTube suivait un trentenaire et ses galères quotidiennes, ndlr] de Kyan Khojandi ! C’est tellement génial comme série. La forme rejoint vraiment le fond et puis c’était très novateur. C’est le genre de programme sorti de nulle part et qui révolutionne tout.

KQ : C’est notre idéal en termes de qualité. Et puis, ils [Kyan Khojandi et Navo, ndlr] étaient vraiment précurseurs sur cette idée de parler du quotidien au travers de trentenaires paumés.

Dans quel contexte la série a-t-elle été écrite ?

YS : Le Covid.

KQ : On a commencé à écrire pendant le confinement. Mais ce qu’on a imaginé au départ se rapprochait selon nous un peu trop de Family Business d’Igor Gotesman (2019-2021, Netflix). On a donc retravaillé notre scénario et on a même pioché dans ce qu’on avait écrit auparavant. Il y a certains épisodes de la série qui viennent de choses écrites il y a 6 ans mais qui n’ont jamais été tournées. 

YS : Sauce piquante vient vraiment d’une volonté de créer. Comme on faisait beaucoup de publicités, on a décidé pendant la crise sanitaire de se replonger dans l’écriture de fiction. Mais on avait besoin de partir sur quelque chose de réalisable. C’est pour ça qu’on a choisi un huis clos et l’idée de la coloc. C’est un concept éculé, mais facile à produire et à réaliser. 

KQ : Le confinement a également été un état des lieux. Avec Yacine on parlait beaucoup mais dès lors qu’il fallait commencer quelque chose, c’était compliqué car on remettait sans cesse en question notre travail. On voulait vraiment retrouver cette spontanéité qu’on avait justement lors de nos années à Bordeaux. Après, contrairement à cette époque, on se rend véritablement compte aujourd’hui de ce que demande la production d’une fiction. On sollicite pas mal de monde, ce n’est plus uniquement notre temps qui est requis.

Inès Melab, dans le rôle de Neila

Pourquoi avoir choisi les réseaux sociaux comme territoire de jeu ?

YS : Au départ, la série n’était pas pensée pour les réseaux sociaux. Quand on a créé Sauce piquante – d’ailleurs j’en profite pour mentionner Obvious tv sans qui ça n’aurait pas été possible -, il s’agissait de 8 épisodes de 3 à 5 minutes.  

KQ : On s’est rendus compte qu’on ne savait pas quoi faire de ces épisodes, qui avaient un peu tourné en festival. Le format nous posait problème car on ne le voyait pas sur les réseaux sociaux et il n’aurait, selon nous, pas trouvé son public sur YouTube. On a donc eu l’idée de découper le format en petits épisodes d’une minute pour les mettre sur les réseaux. Les 22 premiers épisodes diffusés sont issus de ces 8 épisodes. C’est seulement après que l’on a tourné des scènes pensées pour les réseaux, c’est-à-dire dans le bon format, mais aussi écrites dès le départ pour cette durée. 

YS : On s’est demandé où était le public adapté. On avait déjà repéré des créateurs de fiction sur les réseaux comme Esteban Vial ou Anaïde Rozam. Et puis on proposait autre chose, les histoires étaient jusqu’alors pas mal portées sur le couple et nous on proposait trois amis qui abordent une multitude de sujets. 

KQ : Quand on s’est retrouvés avec nos 8 épisodes sans savoir quoi en faire, le pire truc pour nous était que personne ne les voit. C’est pour ça qu’on ne les a pas mis sur YouTube ou sur une plateforme. Sur les réseaux, on a un petit public.

KQ : Et puis il y a cette confrontation immédiate avec le public sur les réseaux sociaux. Mais aussi les chiffres, le nombre de vues, qui nous permettent de savoir si notre série trouve son audience. Ça rejoint notre goût pour les films grand public. Si les gens aiment ou non, tant pis. Mais il est important que notre série soit au moins vue.

Comment analysez-vous l’appétence des internautes pour la fiction sur les réseaux sociaux ?

KQ : Je pense que c’est en partie dû au fait que les gens se retrouvent dans les programmes. Et puis le jeu des algorithmes sur les réseaux fait que les gens tombent sur des vidéos proches de leurs centres d’intérêt. On se rend compte, grâce à notre expérience dans la publicité, que ce qui fonctionne auprès des gens ce sont les récits qui leur parlent de situations quotidiennes. Par exemple, on a fait un épisode où les personnages commandent McDo et il n’y a pas les sauces. Beaucoup de gens se sont reconnu ! L’essor des contenus fictionnels sur Instagram favorise la proximité entre les créateurs et le public et c’est cet aspect-là qui nous plaît. 

D’où vient d’ailleurs votre envie de narrer le journalier ? 

YS : Quand on a su qu’on voulait adapter Sauce piquante pour les réseaux sociaux, on a compris qu’il fallait qu’on se dirige vers des sujets du quotidien car ils fonctionnent bien avec le cadre de la colocation. On aime bien quand la comédie est puisée dans le quotidien. Le rocambolesque nous intéresse moins. Et c’est un sujet qui nous pousse à nous renouveler, car on doit être à 80 épisodes…

KQ : Au fil des épisodes, on découvre souvent de nouvelles manières d’aborder un sujet qui de prime abord semble banal. La contrainte du huis clos amène une créativité. C’est pour ça qu’une série comme Bloqués [série dans laquelle Orelsan et Gringe sont des colocataires qui philosophent et refont le monde depuis leur canapé., ndlr] a cartonné, ou encore Caméra Café [le programme nous plonge dans le monde impitoyable de l’entreprise au travers de ses 570 épisodes de 3 minutes, ndlr], qui a tenu des années. Beaucoup de gens se reconnaissent dans les thèmes des épisodes.

Est-ce que certains épisodes sont directement inspirés de vos vies ? Est-ce que vous-mêmes vous avez été en coloc ? 

YS : On n’a jamais été en coloc ensemble. On est meilleurs potes, mais on ne peut juste pas vivre ensemble ! Sinon, j’ai vécu presque 10 ans en coloc, donc il y a bien-sûr des choses qui ont été puisées dans ces années-là. Toutefois, la plupart des situations sont inventées.

Les saynètes de la série se passent principalement dans une seule pièce de l’appartement – la durée des épisodes excède rarement une minute. Comment avez-vous travaillé les intérieurs de sorte qu’ils participent à la narration ? 

KQ : À vrai dire, l’appartement est vraiment celui d’une coloc ! Donc il y a des choses qu’on n’aurait jamais pu reproduire. 

YS : Quand on a fait le Sauce piquante original, c’était en effet un décor. Mais lorsque l’on a tourné les épisodes destinés aux réseaux sociaux, on s’est rendus compte qu’on n’avait pas forcément le budget pour en refaire un. Il faut dire qu’on est une équipe réduite. Dans l’équipe technique, il y a deux cadreurs et cadreuses, un ingé son, une personne ou deux à la régie, nous deux et une styliste. C’est Greg [comédien de Sauce piquante, dans le rôle de Damien, ndlr], qui vit dans cette coloc et qui nous a proposé l’appartement visible dans la série. On a eu de la chance car l’appartement est vraiment incarné. Ils vivent à trois depuis près de 10 ans dans cet appartement. Et pour créer un décor similaire c’est énormément d’argent. 

KQ : La réalité a dépassé la fiction pour le coup ! 

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Pour parler des personnages, le trio principal est formé par trois trentenaires qui semblent fuir leurs responsabilités. Qu’est-ce que vous souhaitiez raconter avec ces profils ? 

KQ : Cela permet aux spectateurs de s’identifier. Plus que les situations quotidiennes, c’est cet âge-là et cette perdition qui touchent les gens. Certes, on force le trait pour rendre le tout comique, les personnages ne font pas grand-chose et sont parfois bêtes, mais il y a quand-même des moments où on peut vraiment s’identifier à eux. 

YS : Au début du projet, on voulait raconter une série autour d’un personnage triste et en travaillant à partir de ça, on a constaté que les trois personnages principaux de Sauce piquante sont atteints de différentes formes de dépression : Damien est en perte de repères suite à l’abandon de son père, Mathias est bloqué dans l’adolescence car c’est la seule période qui l’a rendu heureux, et Neila qui, dans une forme de dépression que j’ai pu voir chez des proches, se complaît dans ses échecs. Certes, c’est quelque chose que Killian et moi savons sur les personnages et que l’on n’a pas explicitement mis en scène, mais ça flotte sur la série. 

Ça rejoint ce que vous disiez sur votre goût pour le quotidien plutôt que le rocambolesque. Vous avez placé un curseur de comédie sur vos personnages…

YS : Exactement. On a une limite sur la comédie. Comme on le disait, on évite de partir trop loin. On pousse peut-être cette limite de l’absurde lorsque les personnages de Damien et Maël ne comprennent rien, par exemple. 

KQ : C’est parfois les comédiens eux-mêmes qui nous alertent sur certaines blagues. En prenant le pli de leurs personnages, ils finissent par savoir ce qui est juste. Il y a une part des acteurs dans ces rôles. 

Mathias, Inès, Grégoire

En parlant des acteurs et actrices, comment les avez-vous castés ? 

YS : On les a castés assez tôt dans le processus. C’est vraiment par nos cercles d’amis qu’on les a trouvés. On a d’abord eu Mathias, puis Inès et Grégoire.

KQ : C’est vrai que nos amis font aussi de la réalisation, donc on peut se recommander des acteurs. 

YS : Pour revenir au trio, ils se sont vraiment bien entendus. Il y a eu une alchimie, au point que lorsque la série était sous sa première forme de 8 épisodes, ils nous demandaient sans cesse de tourner des épisodes supplémentaires ! 

KQ : Il y a un vrai engagement de leur part, dans la mesure où du point de vue des réseaux sociaux, on ne les met pas en valeur dans la série. 

Est-ce que d’autres webséries sont dans les tuyaux ? Ou peut-être des formats différents ?  

YS : Pas de webséries dans l’immédiat. Je vais rester flou, non pas par confidentialité, mais plus car on ne sait pas encore si un projet va se faire. Il s’agit d’un court métrage, et d’une comédie, mais le projet est encore jeune. On souhaite vraiment garder notre ton comique sur tous nos projets à venir, tout en apportant davantage de fond en abordant des sujets qui nous tiennent à cœur. 

KQ : Le projet de court sera en effet plus ancré dans la réalité que Sauce piquante

YS : Ce projet est vraiment adapté au format du court métrage. On espère aussi avec ce court intégrer un nouveau circuit, en dehors des réseaux sociaux. 

KQ : C’est un court métrage pour élargir nos horizons ! 

Pour découvrir Sauce piquante, c’est par ici. 

Image : Killian Querré et Yacine Saadi © Romain Campet