Robert Doisneau au Musée Maillol : les instants volés d’un maître humaniste

450 000 clichés… Pour mettre sur pied cet accrochage de près de 400 images, le musée Maillol a dû faire un choix drastique dans les archives de Robert Doisneau (1912-1994). Il en propose un aperçu sensible au fil d’un parcours organisé en grands thèmes (« enfance », « bistrots », « écrivains » ou « banlieue »). On y entre comme chez un vieux copain, convaincu de tout connaître, et on en sort bouleversé par la force persistante de ces photographies.


Les freres rue du Docteur Lecene Paris 1934
LES FRERES, RUE DU DOCTEUR LECENE, Paris, 1934 © Atelier Robert Doisneau

« Observer la vie avec une patience de pêcheur à la ligne. Laisser en permanence la porte ouverte à l’inattendu. » Co-commissaires de l’exposition, Francine Deroudille et Annette Doisneau résument ainsi dans le catalogue de l’exposition la mission de leur père, devenu photographe après s’être formé à la gravure et à la lithographie au sein de l’école Estienne. Cinq ans après son diplôme, il signe cette photo culte dans le XIIIe arrondissement, alors qu’il occupe le poste de photographe industriel chez Renault, à Boulogne-Billancourt.

MADEMOISELLE ANITA, Paris, 1951
© Atelier Robert Doisneau
MADEMOISELLE ANITA, Paris, 1951© Atelier Robert Doisneau

Mais à quoi pense cette jeune femme seule, saisie à travers une vitrine ? Tout ce que Robert Doisneau sait d’elle, c’est qu’elle s’appelle Anita. Il a raconté que, pour saisir l’« aura », cette lumière qui apparaît autour de son visage, il a fallu prendre très vite la photographie. Dans le catalogue, on apprend qu’il lui a simplement dit : « S’il vous plaît, ne changez rien, ne bougez rien, je vous expliquerai après. » Il continue : « Elle a dû se rendre compte de l’effet produit car, sans même lever les yeux, elle a gardé cette attitude de pudeur obstinée qui lui allait si bien… »

VEHICULE MILITAIRE, 14 JUILLET 1969, Paris 
© Atelier Robert Doisneau
VEHICULE MILITAIRE, 14 JUILLET 1969, Paris © Atelier Robert Doisneau

Des hommes se croisent. Les uns vont défiler, fiers de montrer à la France leurs forces de peau et d’acier, les autres vont probablement au parc, jouer encore un peu avant que l’âge adulte ne leur saute à la gorge. Selon les filles de Robert Doisneau, « sa vision idéale de l’image était l’intrusion mystérieuse d’une émotion dans un cadre dont il souhaitait qu’il restitue sans emphase un moment privilégié de la vie ». L’enfance, donc.

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LES COIFFEUSES AU SOLEIL, Paris, 1966 © Atelier Robert Doisneau

Contrairement à ce que la spontanéité de ses images humanistes pourrait laisser penser, Robert Doisneau n’hésitait pas à faire poser, à faire refaire. « Ne vous y trompez pas, nous sommes le plus souvent en plein jeu », indiquent ses filles. Doisneau était « un homme de spectacle », d’ailleurs « ses meilleurs amis étaient acteurs, musiciens, écrivains, il ne se sentait bien qu’avec des gens qui savent inventer le rêve, créer l’illusion ». Peut-être a-t-il demandé à cette jolie assemblée de fermer un instant les yeux.

L’USINE BOBIN A MONTROUGE, 1945 
© Atelier Robert Doisneau
L’USINE BOBIN A MONTROUGE, 1945 © Atelier Robert Doisneau

En 1945, Robert Doisneau n’est plus chez Renault (il était trop souvent en retard et a été renvoyé !), mais il continue de répondre à différentes commandes, notamment publicitaires et industrielles. Pour lui, ce ne sont pas des images au rabais, expliquent les commissaires. Au contraire, il y apporte « un soin scrupuleux, un esprit d’invention permanent », comme ici dans l’usine des établissements Bobin, fondés en 1906 à Montrouge et spécialisés dans le battage des tapis, où la lumière est traitée comme celle d’une cathédrale.

« Robert Doisneau. Instants donnés », au musée Maillol, jusqu’au 12 octobre