
Queer Gaze est la rubrique de notre journaliste Timé Zoppé sur le cinéma LGBTQ+
« La première fois que j’ai vu des images liées à l’identité queer dont j’étais certaine qu’elles étaient queer, j’avais 23 ans. J’étais assise seule dans un cinéma en Angleterre en 1967 et j’ai vu Le Renard [The Fox de Mark Rydell, 1967, ndlr]. Le film montrait deux femmes amoureuses et qui faisaient l’amour à l’écran. Raccord avec son époque, l’histoire tournait autour d’un homme qui s’immisçait dans leur relation, ce qui aboutissait à la mort tragique d’une des deux femmes.

J’ai quitté la salle en état de choc, non à cause de la mort mais à cause de l’impact puissant de ces images de femmes ensemble. Pendant mes années de fac, j’étais une lesbienne dans le placard. Après être partie des Etats-Unis pour mes études, je ne pouvais pas m’imaginer une vie lesbienne, donc j’ai essayé d’être hétérosexuelle.
Ma tentative d’hétérosexualité a échoué et je suis retournée aux USA. Je ne connaissais pas d’autres lesbiennes et je ne savais pas où en trouver. Je comprends que ce soit difficile à concevoir aujourd’hui, que l’on ait pu être aussi invisible les unes pour les autres dans la vie et dans les représentations médiatiques, mais c’est ce que j’ai vécu. J’ai commencé une relation avec Sharon, qui était dans un groupe d’éveil des consciences à la libération des femmes avec moi.
En 1970, j’ai eu besoin de voir des images de deux femmes qui s’embrassaient mais je n’en trouvais nulle part. J’ai donc emprunté un appareil photo, je l’ai tenu à la distance de mon bras, j’ai embrassé Sharon, et j’ai fait ma première photo lesbienne [photo ci-dessous, ndlr].

Ce cliché a allumé ma passion pour la photographie et alimenté la quête de ma vie : celle de trouver d’autres images de lesbiennes. A partir de 1979, juste après la publication de mon premier livre, Eye to Eye : Portraits of Lesbians, j’ai commencé ma tournée avec The Dyke Show. C’était ma façon de partager, avec d’autres femmes avides de représentations d’elles-mêmes, ces images découvertes pendant mes recherches. La plupart d’entre nous avait seulement vu des images faites par des hommes pour des hommes. Voyager avec The Dyke Show m’a permis de photographier des femmes qui aiment les femmes à travers les Etats-Unis. Mon deuxième livre, Making A Way : Lesbian Out Front, initialement publié en 1987, réunit ces images. Je suis ravie qu’il ait pu être récemment republié.

Il y a tellement plus d’images queer accessibles aujourd’hui que lorsque j’ai vu un reflet de moi-même dans cette sombre salle de cinéma, il y a cinquante-huit ans. Mais nous devons continuer de travailler dur pour une visibilité authentique, ce qui demande une diversité de représentations incluant l’ethnie, la classe sociale, l’âge, le type de corps et l’identité de genre. On sait bien que voir des personnes qui nous ressemblent peut nous donner le courage et la force de s’accepter tel que l’on est. C’est pourquoi il est crucial que, à chaque fois que l’on parle de visibilité, l’on se demande : « qui est exclu et que suis-je en train de faire pour y remédier ? » »
The Dyke Show de JEB, le 9 septembre au Cinéma des cinéastes, en présence de l’artiste
« Nous autres », exposition de Donna Gottschalk et Hélène Giannecchini avec Carla Williams, jusqu’au 16 novembre au BAL
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English version below
“The first time I saw images of “queer identity” that I was certain were queer, I was 23 years old. I was sitting alone in a movie theater in England in 1967, watching The Fox [by Mark Rydell, 1967]. This film showed two women who loved each other and who made love on screen. True to its time, the story revolved around a man intruding on the relationship that resulted in the tragic death of one of the women. I left the movie theater in shock, not because of the death but because of the powerful impact of the images of the women together. During my college years, I lived as a lesbian in the closet. After leaving the US for graduate school, I couldn’t visualize a lesbian life, so I tried to be heterosexual.
My attempt at heterosexuality failed and I returned to the US. I did not know other lesbians or where to find them. I understand it’s difficult to imagine today that we were so completely invisible to each other in life and in media representations, but that was my experience. I became lovers with Sharon, who was in a women’s liberation conscious-raising group with me. In 1970, I needed to see an image of two women kissing but couldn’t find one anywhere. So, I borrowed a camera, held it out at arm’s length, kissed Sharon, and made my first lesbian photograph.
That photograph sparked my passion for photography and fueled my lifelong explorations to find other images of lesbians. Starting in 1979, just after the publication of my first book, Eye to Eye: Portraits of Lesbians, I started touring with The Dyke Show. Thiswas my way of sharing with other women who were hungry to see themselves reflected, the images I discovered during my search. Most of us had only seen images created by men and for men. Traveling with The Dyke Show allowed me to photograph women-loving women across the United States. My second book, Making A Way: Lesbian Out Front, originally published in 1987, is a collection of these images. I am delighted that it has recently been reissued.
There are many more queer images accessible today than when I first saw a reflection of myself in that dark theater 58 years ago. But we still must work harder for authentic visibility which demands diverse representations including race, class, age, body type, and gender identity. We know that seeing others like us can inspire courage and empower us to embrace our true selves. That is why it is important that whenever we discuss visibility, we must always ask ourselves: “Who is being excluded and what am I doing to change that? »