
En se foutant la paix. Voilà, pas compliqué. Et en reprenant deux fois du gâteau, à ma santé. Lâchez-nous le gras et l’image de soi. Dans une époque qui vend « l’affirmation de soi » comme une méthode miracle par des influenceurs et influenceuses qui célèbrent, à coup de filtres et de slogans rincés, leurs « rondeurs » (c’est-à-dire tout simplement de la peau, en fait), je me dis qu’il n’est pas inutile de vous rappeler que vous faites bien ce que vous voulez, comme vous voulez. Et c’est pareil avec vos goûts.
Si on a inventé le fat-shaming, on devrait bosser tous ensemble sur un terme pour toutes ces injonctions au bon goût, à aimer ce qu’il faut, comme il faut. Qui sont ces gens qui se permettent de nous dire ce qu’il faut aimer ou non ? Des critiques, vous allez me dire. Je vois où vous voulez en venir, et j’apprécie la pointe d’insolence. Mais non. Pas besoin de sa carte de presse pour juger le goût des autres. C’est inné, c’est comme ça, on ne peut pas s’en empêcher. Un tube de Louane au milieu d’une playlist FIP, et c’est la chute. Une citation un peu trop enjouée des Visiteurs dans un dîner de fervents abonnés de Télérama, et c’est la disgrâce.
Il y a exactement cette scène dans Avignon, premier film tendre et malin de Johann Dionnet. Un moment terrible et drôle où, emporté dans son élan, Baptiste Lecaplain se met à citer du Christian Clavier face à une troupe d’acteurs chics. Lui, jouant dans une pièce de boulevard, a fait croire à l’actrice qu’il convoite qu’il joue Rodrigue dans Le Cid. Et, derrière l’imbroglio amoureux, la comédie romantique de faire l’état des lieux de nos propres réflexes dégueu.
On a tous et toutes dit avec assurance avoir un Bergman préféré et emporté chaque année son volume, désespérément intact, d’À la recherche du temps perdu à la plage. Alors qu’un bon Picsou et une rediff de Pretty Woman… Le plaisir est un terrain glissant quand on veut monter les sommets du cool. Avignon enjoint à ne pas faire les choses pour le regard des autres, mais pour soi. Et ça, comme d’hab, les Anglais l’ont compris plus vite et plus fort que nous. Émission phénomène qui entame sa dix- neuvième saison, Taskmaster est un sommet génial de n’importe quoi, régressif et profond. Une émission aussi sophistiquée que débile où une bande de comédiens se soumet aux « tâches » improbables d’un maître du jeu, dans un tournoi implacable.
« Créer en quinze minutes la scène la plus spectaculaire possible », « cacher un ananas sur soi », « remplir un seau d’eau sans les mains », une pure kermesse qui a ceci de tordant qu’elle célèbre l’invention, le ratage, la mauvaise foi et emporte tout dans le plaisir du jeu. Ici, l’important c’est de faire. Et d’y prendre le plus de plaisir possible. Et rien que ça, ça me donne envie, à moi aussi, de reprendre du gâteau.
• Avignon de Johann Dionnet, Warner Bros. (1 h 43), sortie le 18 juin
• Taskmaster, disponible sur YouTube