The End : « Lola » de Jacques Demy

The End, c’est une nouvelle rubrique dans laquelle nous analysons la dernière scène d’un film culte. Aujourd’hui, Lola de Jacques Demy.


Lola de Jacques Demy
Lola de Jacques Demy (1961)

Il suffit d’un « rien » pour inoculer le doute. Est-ce vraiment à un happy end que l’on assiste ? Lola, danseuse au cabaret L’Eldorado, est dans la voiture de celui qu’elle a attendu sans relâche depuis sept ans, ici, à Nantes. Michel, ce grand amour parti dans le Pacifique pour devenir riche, et qui n’a jamais plus donné de nouvelles. « Mais qu’est-ce que tu as ? » lui demande-­t-il, alors que, sur le trottoir, elle aperçoit Roland Cassard, son ami d’enfance amoureux d’elle, qu’elle a plus tôt éconduit. « Rien », répond-­elle, évasive. Quelques minutes avant cette scène finale, Michel s’est pointé au dancing, au moment où elle allait fuir avec leur fils qu’il n’a pas vu grandir. Sidérée, Lola lui a sauté dans les bras ; et tout est allé un peu trop vite. Les autres danseuses pleuraient, mais impossible de dire si c’était parce qu’elles étaient heureuses ou dépitées pour Lola.

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Plus tôt, en parlant de Michel, Lola confiait à Roland : «S’il revenait, je serais peut-être déçue, mais je n’aurais rien à me reprocher : je l’aurais attendu bien sagement.» C’est comme si Jacques Demy nous prévenait : il ne faut pas être trop sage, il ne faut pas attendre. Quand Lola prononce ce « rien » final et vertigineux, trop bien installée dans la luxuriante décapotable de Michel, Roland aussi s’apprête à quitter Nantes. Au moment d’adresser un ultime regard à ce dernier, même si Lola sourit à Michel, son inquiétude d’avoir fait le mauvais choix inonde l’écran. Demy clôt son tout premier long métrage dans cette suspension, nous laissant absolument désorientés.

On retrouvera Lola et Roland errant, languissant dans d’autres films du cinéaste. Dans Les Parapluies de Cherbourg (1964), Roland, qui était si idéaliste, est devenu un négociant en pierres précieuses un peu ennuyeux, convoitant une jeune vendeuse de parapluies, Geneviève, qui finira par l’épouser par défaut. Dans Model Shop (1969), Lola, autrefois si virevoltante, apparaît éteinte, déambulant sous le soleil de Los Angeles, où elle pose pour des photos de charme. Alors qu’on suit un jeune Américain bientôt mobilisé pour le Viêt Nam et fasciné par elle, on sent que du côté de l’ancienne danseuse aujourd’hui solitaire, rien ne s’est passé comme prévu. Heureusement, Lola est toujours sur le départ…

: Lola de Jacques Demy, disponible sur arte.tv

: Jacques Demy – le rose et le noir de Florence Platarets, sur arte.tv jusqu’au 18 mars 2025