LA SCÈNE
Dans le couloir de l’hôpital, l’angoisse de Chris (visage crispé, mains jointes) contraste avec le calme du médecin (clope au bec, voix assurée). Le médecin : « Ne vous alarmez pas. Si c’est une lésion, elle a de la chance. Il suffit d’enlever la partie malade. » Regan est installée sur la table d’opération et prise en charge par un chirurgien : pénétration de l’aiguille dans la carotide, sang qui gicle sur la couverture, intubation minutieuse. S’ensuit le ballet des machines d’imagerie médicale. Regan pousse un râle sous le regard affolé de sa mère.
L’ANALYSE DE SCÈNE
Oubliez le vomi verdâtre, les automutilations au crucifix et autres « ta mère suce des queues en enfer ». La scène la plus éprouvante de L’Exorciste, qui fait tourner de l’œil les spectateurs depuis cinquante ans, est cette description d’une opération médicale bien réelle. William Friedkin l’a toujours affirmé : L’Exorciste n’est pas un film d’horreur, mais « un film sur le mystère de la foi » – propos tirés du documentaire L’Exorciste selon William Friedkin, sorti en 2021. Et puisque l’action se déroule dans les années 1970, il s’agit tout autant d’interroger la foi religieuse que celle qu’on place en la science. Le cinéaste aborde ainsi la scène de l’angiographie avec le même souci de précision rituelle, presque documentaire, que la célèbre séquence d’exorcisme. Une façon de renvoyer dos à dos deux institutions que tout semble opposer, mais qui demandent au commun des mortels la même croyance infaillible. À l’intrusion de l’entité démoniaque répond celle des instruments chirurgicaux ; aux grondements de la bête, le tapage des machines. Il faudra l’arrivée d’un prêtre consumé par le doute pour mettre fin aux souffrances de Regan : chez Friedkin, l’agnosticisme n’est pas une impasse, mais une planche de salut.