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Gaspard Ulliel, nouveau monde

  • Raphaëlle Simon
  • 2016-09-20

Travailler avec Xavier Dolan, vous y pensiez depuis longtemps?
Ma première rencontre avec Xavier remonte à 2009, année où il présentait J’ai tué ma mère à Cannes. Niels Schneider est venu me voir pendant une soirée pour me dire qu’il était avec un jeune cinéaste québécois qui avait un film à la Quinzaine des réalisateurs et qui souhaitait me rencontrer, en me désignant Xavier, qui était très très jeune à l’époque. Je pensais que c’était une farce, donc je n’ai pas donné suite. Je me suis aperçu de mon erreur quelques mois plus tard, en découvrant son film… On s’est croisés plusieurs fois par la suite, et il m’a contacté juste après Saint Laurent de Bertrand Bonello pour me parler du projet de Juste la fin du monde. Très vite, on a enchaîné sur le tournage. C’est un projet hors norme qui s’est mis en branle très rapidement, avec une spontanéité assez inhabituelle. Tout s’est fait un peu dans l’urgence, il voulait tourner le film en quinze jours. C’était après la sortie de Mommy. Il voulait faire un petit film pour meubler le temps, en attendant son prochain gros film américain, qu’il tourne en ce moment, et qui mettait du temps à se mettre en place. Il ne voulait pas rester sans tourner.   

Ça vous plaît, de travailler dans l’urgence?
Cette frénésie, qui tient aussi à la personnalité de Xavier, était assez déconcertante au début, et finalement ça a été très agréable. C’est parfois pénible, les longs moments d’attente sur le plateau pendant les installations. Xavier ne laisse pas de place à ça, et le dispositif en huis clos nous permettait d’avancer rapidement. Et puis on était sur un rythme de travail à l’américaine, vu qu’on a tourné au Canada: on peut tourner douze heures par jour là-bas, alors qu’en France on ne doit pas dépasser les huit heures effectives, avec en plus de longues pauses déjeuner, parce que c’est une tradition et parce qu’on aime manger, mais ce qui réduit encore le temps disponible. Ça peut être frustrant, pour un comédien, de devoir tourner une grande séquence en deux jours parce qu’on n’a pas eu le temps de terminer en huit heures.   

Comment est Xavier Dolan sur le plateau?
Il est très directif et très précis dans sa direction. Il n’hésite pas à intervenir en plein milieu d’une prise, même dans les scènes d’émotion un peu complexes. Il ne peut pas s’en empêcher, le centre de son attention, c’est l’acting; et puis il aime beaucoup jouer. C’est assez beau de l’observer sur un plateau, à jouer en même temps que les acteurs derrière son retour vidéo. Il a une idée très précise de son film. C’est assez bluffant, il sait à l’avance comment il va le filmer et même le monter, vu qu’il monte ses propres films. Ça lui arrive de prendre le steadycamer par la ceinture en pleine prise pour le changer de place, parce qu’il sait qu’il a ce qu’il faut dans cet axe… Du coup, le plateau est extrêmement vivant.

Contrairement aux autres personnages de Juste la fin du monde, Louis est très taiseux. Comment avez-vous joué l’émotion à travers le silence?
Avant le tournage, Xavier était un peu soucieux du peu de dialogue que j’avais, et il m’a proposé qu’on travaille sur l’écoute. Son dispositif de mise en scène était vraiment propice à ce genre d’exercice, car on était presque tout le temps filmés en très gros plan, il venait fouiller au plus près et au plus profond de nous, capter l’imperceptible, le moindre frémissement, tremblement de lèvre, clignement de cil. Quand on travaille en si gros plan, on a le sentiment d’être sous un microscope, tout est amplifié, et ça permet d’exprimer ces petites choses dans le sous-texte – or c’est justement un film sur l’incommunicabilité. Dans la pièce de Jean-Luc Lagarce , les personnages ne cessent de parler, mais la parole les empêche d’exprimer leur pensée, ce n’est qu’un frein, une fuite, et au final ils ne se disent rien. Tout ce qu’ils n’arrivent pas à se dire, Xavier parvient à le formuler à travers sa mise en scène. Il y a une nécessité cinématographique dans chacun des plans, alors que c’était loin d’être évident d’adapter une pièce avec un langage si singulier.   

Votre personnage se sait condamné, tout comme Jean-Luc Lagarce se savait atteint du sida quand il a écrit la pièce en 1990. Au-delà de l’incommunicabilité, Juste la fin du monde est un film sur la mort.
Au début, j’ai appréhendé le personnage de manière assez morbide, et finalement j’ai  essayé de l’amener vers la lumière. Pour moi, ce chemin vers la mort est lumineux, c’est une libération. Ce personnage qui avance inévitablement vers la mort, c’est peut-être le seul qui soit véritablement en vie. Il revient dans cette maison après douze ans d’absence, comme le nomade qui revient auprès des sédentaires: eux n’ont pas bougé, ils sont restés dans leur monde figé, alors que lui est sans cesse en mouvement, c’est un mort qui avance, un mort debout.   

Vous aviez déjà tourné en Amérique en 2007 pour Hannibal Lecter. Les origines du mal de Peter Weber, le prequel du Silence des agneaux. Ça vous a plu, cette expérience hollywoodienne?
C’est une tout autre manière d’agencer le travail. On est sur des gros budgets, avec des grosses équipes, mais il y a plus de contraintes. Déjà il y a l’influence des syndicats qui fait que tout est extrêmement encadré, millimétré, et parfois du coup un peu déshumanisé. Et les corps de métiers sont très compartimentés: un électricien n’a pas le droit de toucher au travelling d’un machino, ça ferait scandale. Ce système m’avait pas mal perturbé, parce que ce qui me plaisait, sur les tournages en France, c’est justement de travailler avec une équipe soudée où tout le monde est tendu vers la réalisation d’un objectif commun et donne le meilleur de lui-même.

Votre première grande expérience de cinéma, c’était avec Les Égarés d’André Téchiné, face à Emmanuelle Béart, en 2003.
C’était mon premier grand rôle et mon premier vrai travail de composition, ça m’a tout appris, j’en garde un souvenir très fort. André est un réalisateur très centré sur le travail des comédiens, et notamment des jeunes comédiens, avec qui il aime travailler. On parlait longuement après chaque prise pour trouver le personnage. J’ai compris sur ce tournage ce que ça voulait dire qu’être acteur, aller chercher des choses nouvelles à chaque prise, inventer son personnage.


Après avoir participé à des projets grand public type Hannibal ou Jacquou le Croquant, vous avez fait une pause au début des années 2010, avant de prendre un virage vers le cinéma d’auteur en tournant avec Bertrand Bonello, Xavier Dolan, et bientôt F. J. Ossang. Comment ce recentrage s’est-il opéré

J’ai commencé un peu par hasard dans le cinéma, grâce à une amie de ma mère qui m’a proposé de passer des castings. J’ai vite décroché des petits rôles, je tournais par-ci par-là pour des téléfilms pendant les vacances, ça m’amusait. Et je suis passé au cinéma, chez Michel Blanc (Embrassez qui vous voudrez, 2002), chez Téchiné… Les propositions se sont accélérées et je me suis un peu laissé porter. J’étais moins lucide qu’aujourd’hui, j’étais très jeune. Je pensais qu’il fallait que je joue dans des films très différents pour ne pas être enfermé dans une case. Ça m’a permis de passer d’une grosse production de Jean-Pierre Jeunet (Un long dimanche de fiançailles, 2004) à un film d’Emmanuel Mouret (L’Art d’aimer, 2011) ou de Rithy Panh (Un barrage contre le Pacifique, 2009). Mais ça a pu en dérouter certains, qui se sont demandé quelle était ma direction. Au bout d’un moment, les propositions ont été moins nombreuses, et j’en ai profité pour prendre du recul sur ce début de carrière, me remettre en question. C’est là qu’est arrivé le film de Bertrand, Saint Laurent, pile au moment où j’avais besoin d’une impulsion nouvelle. Il y a eu un avant et un après Saint Laurent, j’ai vraiment eu l’impression de recommencer à zéro.   

Ce nouveau départ correspond aussi au moment où vous êtes devenu égérie pour une marque de luxe.
C’était un risque à prendre, et j’en avais conscience. On me parlait beaucoup de mon physique de jeune premier à cette époque, et là j’allais me retrouver placardé en quatre par six dans le monde entier. Ça stigmatise, ça laisse moins de place aux réalisateurs pour projeter leurs fantasmes sur votre image. Mais la contrepartie, c’est que ça me laisse une liberté énorme dans mes choix artistiques, ça m’apporte un confort financier qui me permet d’attendre les bons projets.

Vous aviez fourni un travail préparatoire sans précédent pour le rôle de Saint Laurent: vous aviez notamment perdu douze kilos…
Le projet a été reculé plusieurs fois, ce qui m’a laissé quasiment un an pour me  préparer, notamment par un travail sur la voix. Pour les premiers essais, Bertrand m’avait demandé de reproduire mot pour mot une interview télévisée de Saint Laurent en se rapprochant au maximum de sa voix et de sa diction, si singulières. J’ai beaucoup écouté les quelques enregistrements télé ou radio que j’ai trouvés. Et puis, dans un second temps, une fois que j’ai été choisi pour le rôle, Bertrand a voulu que je m’approprie le personnage, que j’invente mon Saint Laurent – sa grosse hantise, c’était justement d’être dans la pure imitation. Tout ce travail de préparation a été passionnant et a complètement changé ma manière de travailler. Aujourd’hui, je n’envisagerais pas de ne pas me préparer à l’extrême pour un rôle, même secondaire. Je ne me l’impose pas, ça me stimule énormément, c’est pour moi l’étape la plus exaltante du travail de comédien. 

Bertrand Bonello jouait les laborantins dans Saint Laurent, avec une mise en scène stylisée, conceptuelle, qui tournait parfois à l’abstraction. Juste la fin du monde est aussi dans une approche très mentale, expérimentale, ça relève presque de l’exercice de style – aux antipodes de Mommy qui était dans la pure émotion. Ça vous intéresse, la recherche formelle?
Les réalisateurs qui me touchent le plus sont ceux qui tentent de se renouveler, qui tentent des choses, comme Bertrand ou Xavier, qui n’hésitent pas à se mettre en danger et à sortir de leur zone de confort. L’année dernière, j’ai été bluffé par le premier film de Clément Cogitore, Ni le ciel ni la terre, vraiment novateur sur le plan formel. Mais l’audace peut aussi se jouer ailleurs. Par exemple, j’ai vu hier soir Toni Erdmann de Maren Ade, que j’ai beaucoup aimé. En matière de recherche formelle ce n’est pas très riche, mais chaque scène est une surprise. On bascule du pur naturalisme à l’absurde en une ellipse, il y a un ton, un équilibre totalement inédits. Valley of Love de Guillaume Nicloux a été un vrai choc aussi. Il s’est complètement réinventé, ça n’a rien à voir avec ses films précédents. D’ailleurs, on va travailler ensemble l’année prochaine, et je suis très impatient.

Juste la fin du monde
de Xavier Dolan (1h35)
sortie le 21 septembre

Tags Assocíes

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