Rachel Sennott, Ayo Edebiri, Molly Gordon… Qui sont les nouvelles cool kids de la comédie américaine? 

À l’occasion de la sortie de « Sam fait plus rire », subtile comédie dramatique sur le stress post-traumatique portée par Rachel Sennott en salles le 30 juillet, portrait de cette nouvelle génération d’actrices qui rafraîchissent l’humour US à la sauce Gen Z avec leur sens de l’observation cynique et absurde.


cool kids
Rachel Sennott dans "Sam fait plus rire" © Janick Laurent

Dans Saturday Night, long-métrage de fiction qui célébrait cette année les 50 ans du SNL, Rachel Sennott incarne Rosie Shuster, scénariste qui œuvre dans l’ombre à la réussite de l’émission devenue en un demi-siècle le meilleur catalyseur d’humour outre-Atlantique, permettant à Tina Fey, Amy Poehler, Kristen Wiig, Maya Rudolph, Amy Schumer et d’autres de trouver leur place dans cet univers très masculin. Hasard de casting ou clin d’œil volontaire, Rachel Sennott fait elle-même partie d’une toute nouvelle génération d’humoristes qui tracent leur sillon cool et déjanté à Hollywood. Elle et ses amies ont construit leur propre Cinematic Universe peuplé d’anti-héroïnes modernes, drôles et névrosées et officient ensemble dans des films post-MeToo ou d’hilarants ovni queer popularisés grâce aux réseaux sociaux.

Sororité, absurdité, viralité

« Je veux jouer de vraies femmes fucked up mais qu’on aime quand même. Les gens ont tendance à vouloir rendre les femmes aimables et c’est moins drôle. » C’est l’ambition de Rachel Sennott, qui débutait sa carrière en 2020 avec Shiva Babyréalisé par son ami·e Emma Seligman. Elle y incarnait une jeune femme juive écrasée par des angoisses générationnelles qui naviguait, dans l’anxiogène huis-clos d’une shiv’ah, entre une famille étouffante et ses relations amoureuses présentes et passées, dont Maya, sa parfaite ex-petite amie, incarnée par Molly Gordon. C’est l’excellent bouche-à-oreille virtuel qui a permis à Shiva Baby, sorti en pleine pandémie et sur la plateforme MUBI, de trouver son public : « J’ai l’impression que le film a bien marché parce que des filles de 20 ans en ont parlé sur Twitter », observait Rachel Sennott dans le Washington Post.

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Shiva Baby
Rachel Sennott dans « Shiva Baby » © Shiva Baby LLC

Dans Sam fait plus rire d’Ally Pankiw (en salle le 30 juillet), elle pousse la réflexion MeToo en décryptant les conséquences du traumatisme sur l’humour de Sam, stand-uppeuse à succès et twittos très suivie. Rachel Sennott aime puiser dans ses expériences personnelles pour modeler la fiction. Elle a trouvé sa voix sur les réseaux sociaux, où elle devisait sur l’amour, le sexe ou l’argent puis dans les comedy clubs de New York, aux côtés d’Ayo Edebiri, rencontrée sur les bancs de la Tisch School of the Arts. Les deux amies poursuivront le débat sur Comedy Central, dans Ayo and Rachel Are Singleune websérie sur l’absurdité du dating moderne, devenant ces clowns anxieux et désabusés qui croquent comme personne les névroses de leur génération. 

Paradoxalement, c’est la religion qui a façonné leur apprentissage de l’humour. Chez les Sennott, l’éducation est très catholique et c’est lorsqu’elle rejettera à l’extrême le tabou du corps et du sexe qu’elle trouvera son crédo humoristique. Ayo Edebiri a elle aussi fréquenté assidûment l’église, qui fut « [sa] première exposition à la musique, à la performance et à l’art de parler devant des gens », comme elle le confiait au Los Angeles Times en 2023, lui donnant le goût du spectacle.

Le duo se reformera la même année devant la caméra d’Emma Seligman pour Bottoms, une comédie politiquement incorrecte façon Fight Club lesbien qui se réappropriait les codes datés du teen movie masculin. C’est une nouvelle fois sur Internet, grâce à l’application Letterboxd — où Ayo Edebiri rédige par ailleurs des critiques percutantes et des listes improbables (« Amazing Farts » – « pets géniaux » – ou « It’s so hard to be a woman on vacation », traduction : « c’est dur d’être une femme en vacances) — que Bottoms a gagné en popularité. Huitième film le mieux noté sur la plateforme en 2023, derrière Asteroid City de Wes Anderson et devant Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese, cette petite comédie indépendante est ainsi devenue le « sleeper » (1) inattendu de l’été dans les salles américaines. 

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Ayo Edebiri dans la série « The Bear »© Frank Ockenfels/FX

Mais c’est dans le drame que l’hilarante Ayo Edebiri se révélera au grand public, en ambitieuse sous-cheffe de la série The Bear où elle côtoie Molly Gordon, la parfaite petite amie de Carmy. Bien plus qu’une Manic Pixie Dream Girl (2) du grand et du petit écran, cette dernière co-réalisait en parallèle le mockumentaire Répétition générale, un bijou d’humour absurde qui capturait l’effervescence d’une colonie de vacances très queer dédiée à la comédie musicale, où Ayo Edebiri incarnait une professeure désabusée. Fille de Bryan Gordon, réalisateur d’épisodes de Freaks and GeeksThe Office ou Curb Your Enthusiasm, Molly a appris à transformer chaque déconvenue en blague et elle exorcisera elle aussi son expérience du dating moderne dans sa prochaine réalisation, la comédie horrifique Oh hi!, inspirée de la phobie masculine de l’engagement. 

Ainsi, à mi-chemin entre le cynisme d’Aubrey Plaza, le franc-parler de Jenny Slate et le flegme provocateur de Lena Dunham, cette nouvelle génération d’humoristes transcendent leur mal-être et leurs désillusions pour fabriquer cet humour noir, absurde et malaisant, que l’on retrouvera à l’œuvre dans une nouvelle série sur les amitiés féminines, dont HBO a confié l’écriture à Rachel Sennott qui prendra ainsi la relève de ses illustres ainées Sex and the CityGirls et Insecure.

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(1) Un hit qui surprend tout le monde

(2) Concept introduit par le critique américain Nathan Robin en 2007 pour désigner un personnage typique de certains films : une femme idéale et délurée qui ne sert souvent qu’à faire évoluer le personnage principal