« Noël à Miller’s Point » de Tyler Taormina : blues familial

[CRITIQUE] Tout en vignettes appétissantes et baroques, dans le sillage d’une famille de Long Island réunie le soir de Noël, cette comédie spleenétique dissimule, sous une couche d’indolence, mille et une nuances.


Noel at millers point
Noël à Miller’s Point © Paname

Après le troublant Ham on Rye (2021), peinture d’adolescences à la lisière de l’étrange, le cinéaste et producteur indépendant Tyler Taormina, 34 ans, confirme son talent pour les portraits de groupe et l’harmonisation d’images flottantes, où les lueurs du décor donnent l’impression d’éclairer les souvenirs des personnages en même temps que les nôtres. Sans doute aligné sur la métaphore cinéphile qui ferait d’un film une maison dans laquelle s’épanouir et grandir (et peut-être mourir, le temps d’emménager dans une autre maison), Noël à Miller’s Point transforme les briques et les murs d’une banlieue pavillonnaire en épicentre du monde : le soir du réveillon, derrière le rideau de la classe moyenne américaine, plusieurs générations fêtent leurs retrouvailles sous un déluge de tendresse, de guirlandes et de sucre. Suivant l’esthétique du trop-plein et du kitsch, Taormina dit s’être inspiré des décors artificiels chez Douglas Sirk (Tout ce que le ciel permet), ainsi que des publicités Coca-Cola des années 1950…

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Entre les mains d’un maladroit, un tel attelage n’aurait donné qu’un « film juke-box » encombré de bibelots. Mais à Long Island, où le réalisateur a passé son enfance avant de partir en Californie, l’esprit de Noël est ajouré d’une angoisse diffuse : la matriarche est trop vieille et le nid familial trop douillet pour survivre au présent. Parsemée de tubes pop des sixties,cette fiction d’une nuit sans intrigue ne raconte finalement que la fuite des jours. Autour d’adultes un peu las de leur sort (magnifique scène de lecture d’un manuscrit tenu en secret par un homme déprécié, qui rappelle l’épilogue de Gens de Dublin, film tombeau du grand John Huston) et de jeunes du coin qui prennent soudain la tangente, à la recherche d’une voiture assez large pour abriter leur amour. Toute une gamme de fantaisies qui nous maintiennent au seuil de l’euphorie et du blues, intermonde que peu de longs métrages visitent avec une telle ferveur.

Noël à Miller’s Point de Tyler Taormina, sortie le 11 décembre, Paname (1 h 46)