
C’est le film que je cite invariablement quand on me demande une scène follement érotique au cinéma. Je me souviens de chaque chapitre. Pourquoi ce film que je trouvais irrésistible mais un brin anecdotique m’a-t-il autant marquée ? En le revoyant, je réalise que le film me regarde. Me voit. « M’aime », pour reprendre les mots de Céline Sciamma.
● ● À LIRE AUSSI ● ● Joachim Trier : « Si on n’a pas accès à nos propres émotions, on cesse d’être proches de nous-mêmes et donc des autres »
Les flottements de l’héroïne, ses emballements, ses lassitudes ont été les miens – comme ceux d’une génération de femmes engourdies par la promesse du bonheur. Comment être libre sans rater sa vie ? Un chapitre, une scène de drague dans une fête à Oslo, condense tout le charme insolent du film et sa puissance narrative discrète. Un homme, une femme, une fête. Chacun est en couple. Elle s’assoit à côté de lui. On pourrait penser que l’histoire commence là, mais le film nous montrera ensuite que le ballet amoureux avait déjà commencé. Ils concluent un pacte : « Faire tout ce qui n’est pas tromper. »
Le principe est enfantin, presque comique, mais se déploie en une scène d’intimité radicale. Où commence le sexe et, avec lui, l’adultère ? Plan suivant, ils discutent dehors, la musique démarre, et la mélancolie d’un souvenir instantané avec elle. La fenêtre découpe un cadre dans le cadre. Sur ses montants se projettent les lumières mouvantes de la fête, comme des accidents de pellicule. Puis vient l’embrasure de porte, seuil du passage. Ils se disent qu’il « ne se passera rien », mais où est la limite ? En lieu et place d’un baiser : l’échange d’une bouffée de fumée au ralenti. Leur souffle se mêle : avaler l’air de l’autre, et avec lui un peu de son âme.
Le film capte ce moment où l’érotisme naît, non pas du sexe, mais de l’interdiction, de la retenue, de ce « presque » qui brûle plus que l’acte, d’une intimité spontanée et foudroyante, où l’on peut dire à un garçon que l’on vient de rencontrer qu’on préfère les verges mi-molles pour le plaisir de les faire durcir soi-même, faire pipi devant lui, le mordre, lui sentir l’aisselle. Il ne s’est rien passé, tout s’est passé. Une vie entière le temps d’une nuit.
● ● À LIRE AUSSI ● ● Renate Reinsve : « Ce qui me frappe chez Joachim Trier, c’est qu’il ne juge jamais ses personnages »