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LA REDAC A CANNES : JOUR 2

  • Trois Couleurs
  • 2016-05-12

Cette fois, les festivités sont bien lancées. C’est sur la plage un peu morose de l’hôtel Majestic, sous un chapiteau blanc battu par les vents et avec du rosé à la place du champagne qu’a eu lieu hier soir la « welcome party » officielle du festival.

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Avant ça, le Roumain Cristi Puiu ouvrait la Compétition officielle sous des auspices plutôt austères, avec l’hivernal Sieranevada, film de deuil sec et froid. Soit la dissection patiente du réseau complexe de liens et de tensions entre une dizaine de personnes de la même famille, réunies dans un appartement pour commémorer un défunt. Mères hyperactives au bord de la crise de nerf, pères renfrognés, jeunes gens neurasthéniques : le film force volontiers sur l’air du famille je vous hais, quitte à jeter un froid à force de n’épargner personne. Sauf peut-être le quadra Lary, fils du défunt et parfait alter ego du jeune cinéaste, qui observe à distance chaque porte qui claque et chaque crise de larme, sourire narquois aux lèvres.

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Le plus souvent postée dans l’entrée de l’appartement, autour de laquelle les différentes pièces sont distribuées, la caméra virevolte au rythme des allers-venues incessantes, pivot d’une mise en scène franchement virtuose qui installe une belle montée en puissance – l’action est ramassée sur une journée, filmée en quasi huis clos et en quasi plan séquence. Cette intrigue minimale et assez théâtrale (engueulades de couple vaudevillesques et retournements de situation tragicomiques) n’oublie cependant jamais d’épingler au passage, grâce à ses personnages de tous âges et à leurs féroces joutes verbales, les multiples contradictions de la Roumanie d’hier et d’aujourd’hui (Ceaușescu, le communisme, l’Eglise orthodoxe, l’impunité du gouvernement actuel…). Un constat plutôt sombre donc, qu’on retrouvera peut être dans l’autre film roumain de cette compétition, Bacalaureat de Cristian Mungiu, l’un des favoris cannois (il a gagné la Palme d’or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours) lui non plus pas exactement connu pour sa tendresse envers la société roumaine.

Ce matin, on découvrait Rester Vertical, première percée d’Alain Guiraudie dans la Compétition officielle (trois ans après avoir présenté l’éblouissant L’Inconnu du lac à Un Certain Regard). Sans se douter que le cinéaste aveyronnais avait lesté son film de scènes bien trash. Voir un accouchement en temps réel en plan frontal à 8h30, cap ou pas cap ? Hormis quelques moments de provoc’ un peu gratuite, Guiraudie excelle encore une fois à façonner une ambiance inquiète, à la lisière du fantastique. Il relie les archétypes qu’il a construits au fil de sa carrière (le rude et robuste paysan gay ; le vieillard encore très chaud ; la jeune femme à priori libre, qui n’échappe finalement pas au stéréotype de la bonne épouse et/ou mère…) par un personnage de scénariste égaré (Damien Bonnard). Arpentant un causse de Lozère dans l’espoir d’y voir un loup, il tombe en fait sur une bergère (India Hair), qu’il met enceinte en un clin d’oeil. Alors qu’elle les abandonne, le héros doit s’occuper seul de leur bébé. Sa déroute le mène de rencontres en rencontres et de la campagne – que Guiraudie filme toujours magnifiquement – à la ville – jusque-là moins explorée par le réalisateur, et qu’il montre également comme un territoire lumineux mais menaçant – en passant par un curieux havre de paix, sorte de hutte en bord de fleuve où exerce une thérapeute paradoxalement sèche.

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« Rester vertical » tout en déambulant, c’est tout le projet du héros, lui qui tient à la fois du loup (il s’impose dans la vie des gens) et de la brebis (il fuit ses responsabilités et semble perpétuellement traqué). Comme en atteste le film lui-même, adopter une telle démarche amène parfois à trébucher, mais dans les deux cas, l’hardiesse l’emporte (on parie notamment qu’une certaine scène de sexe entre deux mecs, étonnante et crue, au son des Pink Floyd, marquera fortement les festivaliers).

Pour compenser cette bouffée de noirceur et de testostérone, on a eu droit à un bol de fraicheur et de féminité grâce à Justine Triet qui a ouvert, tambours battants, la Semaine de la critique avec Victoria, une comédie qui ne manque pas de chien.

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Si la comédie est cool depuis un paquet d’années aux US, avec des productions à la fois auteur et mainstream à la Judd Apatow, le genre est depuis longtemps snobé en France. C’était sans compter l’arrivée en force, au Festival de Cannes il y a trois ans, d’une gaillarde nouvelle garde venue redorer le blason de la comédie française (Yann Gonzalez, Justine Triet, Antonin Peretjatko, Sébastien Betbeder…). La bataille continue dans la joie et le bon humour (La Loi de la jungle d’Antonin Peretjatko sort en salles mi-juin, Sébastien Betbeder présente Le Voyage au Groenland à l’ACID dimanche), avec Justine Triet en chef de file, qui confirme aujourd’hui avec son deuxième long métrage qu’en France aussi, un film peut être à la fois drôle et intelligent, grand public et hyper maitrisé.

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Avocate, Victoria Spick (Virginie Efira, devenue la figure chic de la comédie d’auteur avec son jeu élégant et mesuré), accepte de défendre un ami (Melvil Poupaud) accusé de tentative de meurtre par sa petite amie qui a pour seul témoin son dalmatien. Mère célibataire, Victoria accepte à contre cœur d’embaucher un ancien client accusé de trafic de drogue (Vincent Lacoste) comme baby-sitter. De mauvais choix en coups du sort, la jeune femme sombre dans une drôle de dépression… Après le spontané La Bataille de Solférino, (tourné plutôt à l’arrache au moment des résultats de l’élection présidentielle de 2012), Victoria s’inscrit dans une autre dynamique : gros budget, gros casting, scénario très écrit, et très bien écrit – les personnages, aussi secondaires et timbrés soient-ils, sont tous d’une consistance rare et les dialogues impeccablement ciselés. Avec un sacré sens du rythme et de la formule, Justine Triet livre une délicieuse comédie d’introspection, avec son héroïne allenesque qui se remet en mauvaises questions à coup de séances ubuesques chez le psy (« J’aimerais comprendre là où ça a merdé chimiquement dans ma vie »), la voyante, ou l’acupuncteur. Mélangeant les genres (le film de procès, la satire, le drame, la romance), renversant les codes et les clichés (la femme a le pouvoir et l’argent, l’homme est baby-sitter et sentimental), sa comédie dépressive a le même esprit de contradiction que son héroïne des temps modernes (« Tu as  le sens du drame, tu me fais peur », lui dira son prétendant mi-fasciné, mi-apeuré) – et nous charme tout autant.

Bonus Tapis rouge :

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