NOUVELLE STAR · Sasha Rainbow (« Grafted »)  : « Le gore, c’est une expérience féminine »

Dans « Grafted », body horror sur une jeune chimiste à la recherche d’un nouveau visage, la Néo-zélandaise impose un style cru, pop et outrancier. Portrait d’une réalisatrice montante, qui propose un cinéma viscéral.


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Sasha Rainbow @ Les Films du Camélia / Mister Smith Entertainment

« Nous savons, et je sais que vous savez aussi, ce que c’est, de saigner. Le gore, c’est une expérience féminine. » Au bout du fil, Sasha Rainbow ne mâche pas ses mots. La réalisatrice Néo-zélandaise signe Grafted (« greffé » en français), un premier long aussi lugubre que pop, qui pousse les curseurs du body horror jusqu’à friser le ridicule conscient.  C’est farcesque, inventif, outrancier. Librement inspiré des Yeux sans visages de Franju, le film raconte l’histoire de Wei (Jess Hong), jeune étudiante qui débarque à la fac d’Auckland. Atteinte d’un angiome, une malformation du visage qui ressemble à une tache de vin, Wei s’est donné pour mission de perfectionner un sérum de greffe miraculeux, que son père, savant fou désormais décédé, avait mis au point.

Coécrit avec Mia Maramara, Hweiling Ow et Lee Murray, Grafted assume à fond son côté série B, cheap, et s’octroie d’étranges incursions dans le giallo. Il faut dire que sa réalisatrice a grandi avec des maîtres du genre : « John Waters, c’est un être humain incroyable. Tellement d’imagination, avec si peu de budget… Un jour, j’avais douze ans, je l’ai croisé à Londres, dans un ascenseur. Mes jambes se sont transformées en gelée. »

Le compagnon de son père lui fait aussi découvrir Hitchcock, les films noirs, Chitty Chitty Bang Bang, comédie musicale de Ken Hughes sortie en 1964. Elle adore Chantons sous la pluie, Mary Poppins, et surtout Le Magicien d’Oz, car il parle « d’une jeune fille qui abandonne l’endroit d’où elle vient pour trouver ce dont elle a besoin en chemin ». Ce déracinement, cette sensation d’être une outsideuse résonne en elle : Sasha Rainbow est une Néo-Zélandaise de première génération, et sa mère, originaire de l’Europe de l’Est, une réfugiée. Elle attend avec impatience l’adaptation des Hauts de Hurlevent par la Britannique Emerald Fennell, qui a réalisé le très queer et sulfureux Saltburn« Elle a une façon d’apporter un twist aux histoires classiques, de les tordre de l’intérieur. »

Dans Grafted, Sasha Rainbow brouille elle aussi les pistes. Sous ses airs de teen-movie façon Lolita malgré moi, avec son lot de bimbos cruelles, le film s’attaque à la standardisation de la beauté. « Nous avons été conditionnées, dès notre plus jeune âge, à penser que nous ne sommes pas assez bien pour la société. D’une certaine façon, j’ai le sentiment qu’on m’a volé ma jeunesse à cause de ça. » Changer de peau, à tout prix, se mutiler pour obtenir l’amour des autres. C’est le pacte quasi faustien, diabolique, que son héroïne Weï passe avec elle-même. Pour dénoncer cette confiscation du corps féminin par la société, la réalisatrice a misé une esthétique de la cicatrice, de la blessure : « Le body horror permet une expérience, qui connecte au cerveau d’une manière très physiologique, excitante. L’idée n’est pas de faire peur, mais de ressentir. »

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L’expérience féminine était déjà au cœur du premier court-métrage de Sasha Rainbow, Kamali. Sélectionné sur la shortlist des nominations aux Oscars et nommé aux BAFTA en 2019, ce docu suit l’émancipation d’une fillette indienne grâce à la pratique du skateboard. « Je suis tombée amoureuse de cette histoire générationnelle, celle d’une mère qui se bat pour donner du pouvoir à sa fille par le sport. 2019, c’est aussi un moment charnière, où les femmes se réapproprient leur récit avec MeToo. » Le projet sur lequel elle planche, un thriller psychologique intitulé The Hole, est inspiré de sa relation avec un auteur plus âgé, devenu son mentor. Méfiez-vous, car on sera a priori loin de la romcom hollywoodienne.

Grafted de Sasha Rainbow, sortie le 5 novembre, 1h36, Les Films du Camélia