Inga Ibsdotter Lilleaas : « ‘Valeur sentimentale’ peut nous aider à nous faire ressentir autrement »

« Valeur sentimentale » révèle Inga Ibsdotter Lilleaas dans le rôle beau et complexe d’Agnes, qui tente de réconcilier sa sœur Nora, comédienne, et leur père cinéaste. Après des années d’absence, celui-ci propose un rôle à Nora alors qu’Agnes doit composer avec la frustration d’avoir été filmée, puis délaissée par lui autrefois. À Oslo, on lui a parlé de ce film à vif.


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Photographie : Morten Skalstad pour TROISCOULEURS / Assistant photo : Mads Suhr Pettersen / Digitech : Nora Landa

Comment êtes-vous devenue actrice ? Et comment avez-vous découvert le cinéma de Joachim Trier ?

Je viens d’un petit coin perdu dans les montagnes, Hallingdal, en Norvège. Enfant, je faisais du théâtre. Pour moi, c’était ça, être comédienne. Puis, en sortant de l’école de théâtre, j’ai joué dans un film, Kvinner i for store herreskjorter [sorti en Norvège en 2015, ndlr]. Depuis, je fais aussi du cinéma. Le premier film de Joachim que j’ai vu, c’était Nouvelle Donne [2008, ndlr], j’avais une vingtaine d’années [elle a aujourd’hui 36 ans, ndlr]. J’avais trouvé ça cool, plein d’énergie et mélancolique. Cette mélancolie, je m’y reconnaissais à cet âge-là. Depuis, j’ai vu tous ses films, et j’ai été impressionnée. Je suis fière qu’un Norvégien ait fait ça.

Votre personnage, Agnes, est historienne. Voyez-vous un lien entre ce métier et celui d’actrice ?

Oui, bien sûr, être actrice, c’est aussi creuser, que ce soit dans l’histoire collective ou personnelle de quelqu’un. Dans ce film en particulier, les personnages ont un passé très riche, qui façonne qui ils sont – il fallait travailler énormément là-dessus.

Comment parliez-vous de ce personnage avec Joachim Trier ?

On a bien sûr fait des répétitions, mais avec lui on a surtout passé du temps à discuter de la vie, à partager nos propres histoires. Et, petit à petit, on a commencé à construire ce personnage qui veut simplement que toute la famille soit réunie, qui veut prendre soin de ce lien, et qui lutte contre les conflits que ça implique. Les conversations avec Joachim étaient vraiment stimulantes, et puis le scénario était très bien écrit – Eskil Vogt, le coscénariste, a aussi fait un travail magnifique qui a rendu ça… presque facile, d’une certaine manière. Je reconnaissais des parts de moi en Agnes, je pouvais me mettre à sa place, ressentir ce qu’elle traverse.

Valeur sentimentale parle beaucoup du rôle de l’art dans nos vies, de la manière dont il nous permet de nous lier aux autres. Comment cela vous a-t-il interrogée ?

Quand on travaille sur un film comme celui-là, ça nous transforme forcément. Parce que ça peut réussir à nous faire penser, ressentir autrement, nous aider à nous connecter aux autres. Je trouve cette idée qu’a Gustav [joué par Stellan Skarsgård, ndlr], le père d’Agnes et Nora [jouée par Renate Reinsve, ndlr] de vouloir renouer par l’art vraiment belle. Il est peut-être maladroit dans sa manière de l’exprimer, mais il essaie. Parfois, quand quelqu’un a du mal à s’exprimer avec des mots, ou ne se sent pas à l’aise dans une communication directe, l’art devient une alternative puissante. Dans le film, il le fait avec une telle tendresse. Il y a quelque chose de presque enfantin dans son désespoir, et je trouve ça très touchant.

Un autre thème central du film est le lien fort de sororité entre Agnes et Nora, malgré tout ce qui les éloigne…

J’ai beaucoup pensé à ma sœur en lisant le scénario, à notre relation. Dans le film, ce lien entre sœurs me paraît très justement représenté – elles ont eu des expériences complètement différentes de leur enfance et, forcément, cela façonne leur dynamique. Elles sont très proches. Mon personnage, Agnes, aime profondément sa sœur, elle l’admire. Mais elle ressent aussi une forme de frustration, et s’inquiète pour elle. Je trouve que cette complexité – cet amour et cette tension qui coexistent –, beaucoup de gens peuvent s’y identifier.

SentimentalValue 06 Inga Ibsdotter Lilleaas Elle Fanning Photo Kasper Tuxen Andersen
Memento Distribution

Le personnage de Gustav, en tant que cinéaste, donne des indications assez évasives, ouvertes. Quand une actrice lui demande des précisions psychologiques sur un personnage, il répond : «Qu’en penses-tu ?» Est-ce aussi comme cela que vous avez travaillé avec Joachim Trier ?

Je peux aimer cette façon de travailler – tant que ce n’est pas juste une manière d’éviter de prendre ses responsabilités. Mais, oui, je pense que ça peut te rappeler, en tant qu’actrice ou acteur, que tes idées sont aussi importantes. Et ça te pousse à réfléchir, à vraiment t’engager. Joachim est un peu comme ça, mais pas complètement. Il est plus présent, plus accessible pour les acteurs. Si je lui posais une question, il faisait vraiment l’effort de me répondre, mais en me laissant beaucoup d’espace pour tenter des choses, pour ne pas être dépendante.

: Valeur sentimentale de Joachim Trier (Memento Distribution, 2h13), sortie le 20 août