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François Damiens, leurre de vérité

  • Quentin Grosset
  • 2018-05-28

Vous êtes dans quel état quand vous faites une caméra cachée ?
Je suis libéré mais concentré. J’ai le personnage aussi : je sais où il est né, ce qu’il a dans les poches… Je suis surtout focalisé sur la personne que je vais piéger. Les premières minutes, j’écoute : ce n’est pas du tout spectaculaire, ça ne fait pas rire. Et puis, tu vois, à un moment, je décèle une brèche et je rentre dedans. Il faut vraiment prendre le temps de l’approche. En fait, c’est comme au restaurant, tu ne sers pas un carpaccio à quelqu’un qui n’aime pas la viande froide.

Ce personnage de Dany, fugitif qui cherche à renouer avec son gosse, il vient d’où ?
Ce genre de grande gueule fracturée, en Belgique on les appelle des « barakis ». Ce sont des types qui ne sont ni au-dessus ni en dessous des lois : ils sont à côté. Ce sont des cow-boys toujours occupés à préparer un nouveau coup. Ils n’ont aucun complexe, ils ne sont impressionnés par personne. Ils sont fatigants à côtoyer, ils prennent énormément de place, mais bizarrement on a envie que ça marche pour eux.

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Vous en avez rencontré beaucoup, des types comme ça ?
Oui, et je peux les regarder pendant des heures. Quand j’étais petit, il y avait un garagiste comme ça, que connaissait mon oncle. Chaque jour après l’école, j’allais chez lui, il me fascinait. Quand je lui disais « quoi ? », il me répondait : « C’est les canards qui disent “quoi” ! » Il avait pas dû recevoir assez d’amour, alors il avait une sorte d’aigreur, il était en rébellion contre la société. Christian Brahy, un de mes complices qui joue Parrain dans Mon ket, est aussi un peu comme ça.

Justement, comment avez-vous imaginé la petite famille de Dany ?
Vu que Dany est toujours en prison, il fallait une autorité parentale pour s’occuper de son gosse. Et donc, Parrain, c’est un grand-père pour le petit, et un père pour Dany. Dans la vraie vie, Christian est couvreur, il a cent vingt personnes qui bossent pour lui. C’est le président du club de foot de Namur, aussi. C’est le patron, quoi… Je trouvais ça bien qu’il s’occupe du fils, Sullivan. Lui, je voulais qu’il soit un peu comme Rod Paradot, qu’il soit sage mais qu’on sente qu’il a un potentiel de future petite crapule. Donc on lui a fait une petite queue de rat. Il fallait qu’il soit assez jeune, 10-12 ans, pour que ce soit choquant quand son père l’amène au tabac pour l’obliger à fumer des clopes.

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Dans le film, Dany a plusieurs petites amies. À un moment, l’une d’entre elles le présente à ses vrais parents, et il leur balance qu’il a fait disparaître son ex-femme parce qu’« elle devenait gênante »… Quand on piège des gens, quelle est la limite dans l’outrance pour ne pas être découvert ?
J’essaye d’être délicat dans mon indélicatesse, je ne veux pas être irrespectueux. Je peux être vulgaire mais il faut que ça reste attendrissant. Pour cette séquence, on a mis des annonces dans la presse : on demandait à des filles célibataires entre 25 et 45 ans qui avaient encore leurs deux parents si elles aimeraient participer à un documentaire. J’en ai choisi une dizaine, elles m’ont expliqué leur relation avec leur mère, leur père… Six mois après, on les a rappelées pour qu’elles disent à leurs parents qu’elles avaient rencontré quelqu’un. Quinze jours avant le tournage, elles leur ont annoncé : « Mon petit ami, Dany, aimerait vous rencontrer. » Et là, ils tombaient sur le mastodonte. En cinq minutes, il leur dit qu’il s’est échappé de prison, qu’il a demandé leur fille en mariage, qu’elle est peut-être enceinte et qu’ils vont devoir témoigner en sa faveur au tribunal. Là, dans leur tête, il y a toute leur vie qui repasse.

Comment réagissent les gens que vous piégez quand on leur annonce la supercherie ?
Ce n’est pas moi qui l’annonce. C’est plus facile quand quelqu’un d’extérieur le fait, avec beaucoup de psychologie et de tact. En général, les gens ressentent le besoin de parler de moi, de dire : « Il n’a pas le droit de dire ça, de faire ça. » Ils exorcisent, quoi. Quand le sentiment d’hébétude est retombé, je viens leur parler, on boit un café. Ils sont rassurés, mais ils ont besoin de me raconter encore ce qu’ils ont vécu.

La manière à la fois brute et pleine d’humanité dont vous révélez les travers et bizarreries de ces gens évoque un peu la démarche de l’émission de télévision belge 
Strip-tease. Au-delà de l’humour, avez-vous des velléités documentaires ?
Benoît Mariage, qui a coréalisé le film avec moi, travaillait comme réalisateur pour Strip-tease. Et moi, j’ai commencé comme stagiaire sur cette émission. Je ne cherche pas à faire des caméras cachées à gros budget, avec des cabines téléphoniques qui s’enfoncent dans le sol ou je ne sais quoi. Ce qui m’intéresse, c’est les gens, la vie de tous les jours. Ici, on voulait juste raconter la trajectoire de cet homme qui embrasse la vie parce qu’il n’a pas été assez embrassé.

Ça vous est déjà arrivé de vous mettre en danger pour une de vos impostures ?
Il y a une dizaine d’années, un type m’a pris à la gorge, ouais. Je jouais un douanier et je lui ai dit que j’allais lui faire une fouille anale. Or, on a compris après qu’il avait une mallette de 10 millions d’euros dans les pattes. Quand l’équipe lui a annoncé que c’était pour de faux, il est devenu dingue, il a shooté dans toutes les caméras. Il y a aussi eu un politicien breton qui m’a filé un jeton parce que je l’avais piégé sur un plateau de télé : j’avais dit qu’on s’était rencontrés dans le cadre d’une croisière échangiste… Donc maintenant, quand je sens qu’on a un type pas net, je dis à mon équipe dans l’oreillette : « On le laisse partir, on ne dit pas que c’est une caméra cachée. »

Quels sont les trois trucs essentiels pour réussir une caméra cachée ?
Trois ? Il en faut cinquante ! Déjà, en cas de danger ou d’imprévu, je suis toujours relié à mon équipe via une oreillette. Il faut aussi se débrouiller pour mettre un micro aux piégés sans qu’ils s’en rendent compte. Puis, il ne faut pas avoir peur de l’aléatoire. Sur les dix caméras cachées que je fais en moyenne par jour, il y en a environ 20 % où les gens me reconnaissent, 25 % où je ne suis pas marrant, et 20 % où les piégés ne sont pas très réactifs… Et il faut des techniciens endurants : dans leur cachette, il peut faire chaud, ils ne doivent pas rire, ni pleurer. Il faut qu’ils amènent à boire, à manger et… une bouteille vide, si tu veux vraiment les détails.

: « Mon ket »
de François Damiens
(StudioCanal, 1 h 29)
Sortie le 30 mai

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