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Rachel Lang et Salomé Richard, double dose d’héroïne

  • Timé Zoppé
  • 2016-05-04

Une jeune femme aux cheveux courts conduit une voiture avec application. La caméra reste braquée sur son visage, concentré. À mesure que progresse le plan, on sent la tension qui monte. Arrivée à bon port, la jeune femme se prend une soufflante par un membre de l’équipe du film pour lequel elle travaille comme régisseuse : elle vient de déposer une actrice sur le plateau avec une heure de retard… Dès les premières minutes de Baden Baden, on est irrésistiblement charmé par Ana (Salomé Richard), héroïne malhabile mais pleine de bonne volonté qui tâtonne dans ses envies professionnelles, retombe cycliquement dans les bras de son ex (Olivier Chantreau) et de son meilleur ami (Swann Arlaud) et tente comme elle peut d’aider sa grand-mère (Claude Gensac), de plus en plus fragile, dans son quotidien.

Au cinéma, rares sont les personnages qui fascinent autant et suscitent une telle empathie chez le spectateur. Jamais là où on l’attend, Ana est scrutée par la caméra dans toutes les situations, des plus écrasantes, comme quand elle subit les caprices de son grand amour, Boris, aux plus glorieuses, quand elle chante à tue-tête en roulant seule et à toute blinde dans la voiture du tournage qu’elle refuse de rendre. « En suivant Ana, on apprend à se prendre des claques, à vivre des passions et à devenir actif, à ne pas subir, donc à gagner en joie », indique la réalisatrice. Cet ambitieux programme et son incarnation dans des actions imprévisibles découlent sans doute de l’approche qu’a Rachel Lang du septième art. « Pour moi, le cinéma englobe des problématiques de philo et la liberté du théâtre. »

PROCHES APPARENTS

Si le personnage est si complexe et si dense, c’est aussi parce que Rachel Lang et Salomé Richard le façonnent ensemble depuis plusieurs années. Avant Baden Baden, il y a eu deux courts métrages, Pour toi je ferai bataille (2010) et Les navets blancs empêchent de dormir (2011). Le premier montrait Ana s’engageant dans l’armée après une rupture avec Boris, le deuxième commençait alors qu’ils avaient repris leur relation houleuse. D’un film à l’autre, dans une mécanique analogue à celle d’une série télé, le spectateur retrouve avec plaisir l’héroïne, comme une amie proche qui lui donnerait de ses nouvelles, et redécouvre à chaque fois son entourage, à commencer par son amoureux égoïste, jamais interprété par le même acteur.
Comme dans la saga d’Antoine Doinel de Truffaut (qui filmait Jean-Pierre Léaud sur vingt ans, des Quatre Cents Coups en 1959 à L’Amour en fuite en 1979), on a ce plaisir rare de voir grandir un personnage à l’écran, même si c’est ici sur une période plus courte. Mais le portrait se fait moins romancé dans le triptyque : à la tournure fantaisiste, parfois ironique, que donne Truffaut aux frasques d’Antoine Doinel, Rachel Lang préfère une approche intime, liée sans doute aux similitudes entre elle et son héroïne. Quand on découvre la cinéaste, en février dernier sur Skype, alors qu’elle est au Festival de Berlin pour présenter Baden Baden, on est frappé par sa ressemblance physique avec son personnage, qu’elle semble avoir modelé à son image – cheveux bruns coupés très court, regard difficile à déchiffrer, diction sèche…

Née en 1984 à Strasbourg, formée dans une école de cinéma à Bruxelles, Rachel Lang s’est, comme Ana dans Pour toi je ferai bataille, engagée dans l’armée très jeune, et y est d’ailleurs toujours réserviste. Une autre expérience personnelle a fourni le point de départ de Baden Baden. « Ma grand-mère est vraiment restée coincée toute une nuit dans sa baignoire… C’est un vrai piège à vieux, les baignoires ! » Elle préfère néanmoins nuancer : « En fait, je pars de situations vues ou vécues, mais pas forcément par moi. Ce n’est pas une adaptation de ma vie. »

SECONDE PEAU

La fascination que peut ressentir le spectateur devant ce triptyque est aussi liée au fait de voir grandir une actrice en même temps que son personnage. Âgée aujourd’hui de 25 ans, la Belge Salomé Richard, dont Baden Baden est le premier long métrage, avance prudemment. « Faire ces trois films avec Rachel a surtout changé mon rapport au jeu. Je pense qu’il est moins éclaté, moins bordélique. » Sur l’écran Skype, au côté de la réalisatrice, on découvre une jeune femme aux cheveux longs et au sourire franc, sûre d’elle et volubile, loin de la maladresse et du caractère un peu lunaire de son personnage. Lors du casting de Pour toi je ferai bataille, il y a sept ans, la cinéaste a aussi été frappée par ce contraste. « Je me suis dit : “Cette nana est géniale, mais elle ne correspond pas du tout au rôle.” Comme Salomé est très à l’aise dans la vie, je croyais qu’elle ne pourrait jamais jouer la gêne. En fait, ça lui a permis d’ouvrir le personnage. » Dans le triptyque, l’actrice tire ainsi parti de son assurance et de son magnétisme naturels (particulièrement dans les scènes où elle rencontre des inconnus) pour alléger son personnage des tourments intérieurs dans lesquels il se mure parfois.

Rachel Lang et Salomé Richard ne comptent pas donner de suite aux aventures d’Ana (en tout cas, pas dans l’immédiat). On se consolera en guettant la sortie de leurs futurs projets. La Strasbourgeoise envisage de retrouver l’univers militaire (« La fin de Baden Baden est une passerelle vers mon prochain long métrage, Mon légionnaire. »). Quant à la Bruxelloise, elle met actuellement la dernière main à son deuxième court métrage – après un premier très réussi, Septembre, sur le délitement d’un couple –, qui creuse la question : « Comment se détacher de la dynamique familiale et trouver la sienne ? » Là encore, Ana et ses questionnements de jeune adulte ne semblent jamais très loin.

Baden Baden
de Rachel Lang (1h34)
avec Salomé Richard, Claude Gensac
sortie le 4 mai 

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