« Dites-lui que je l’aime » de Romane Bohringer : guérir par la fiction

En adaptant l’essai que la députée Clémentine Autain avait écrit sur sa mère en 2019, Romane Bohringer, qui y entremêle son histoire personnelle, signe un film hybride, entre documentaire et fiction, toujours tenu par une émotion gracieuse.


Dites-lui que je l'aime
© Escazal Films

Une question préside à Dites-lui que je l’aime : comment combler une absence qui prend toute la place ? Romane Bohringer la pose à double titre : en tant que femme abandonnée à l’âge de 9 mois par une mère disparue très jeune qu’elle n’a pas connue ; et en tant que cinéaste désireuse de raconter un récit auquel il manque des images. Cette histoire, au départ, n’est pourtant pas la sienne. La réalisatrice adapte un essai très personnel de Clémentine Autain, dans lequel la députée raconte les vides béants laissés par sa propre génitrice, l’actrice Dominique Laffin, alcoolique et dépressive, morte prématurément.

Peu à peu, Romane Bohringer y imbrique donc sa propre quête et, dans la lignée de Kaouther Ben Hania avec Les Filles d’Olfa ou de Mona Achache et son Little Girl Blue, en appelle à la fiction pour combler les trous, rejouer des parts de l’enfance de Clémentine Autain ou, et c’est là toute l’ambiguïté magnifique de son film, imaginer à quoi aurait pu ressembler la sienne.

Eva Yelmani incarne avec intensité l’insaisissable Dominique Laffin, tout en se muant en archétype, celui de la mère toxique à laquelle il faudra pardonner si l’on veut vivre. Sensible mais jamais larmoyant, parfois même très drôle, Dites-lui que je l’aime n’use d’aucun artifice et prend son temps pour laisser l’émotion affluer au gré des souvenirs et des découvertes.

3 QUESTIONS À ROMANE BOHRINGER

Le film est adapté d’un livre de Clémentine Autain. Quels échos y avez-vous trouvés ?

C’était vraiment fou. Quand je l’ai lu, j’ai ressenti comme une gémellité au mot près, à l’expérience près. Sauf que moi, j’ai un sac, et elle, une malle. On a des points communs. Nos enfants aînés sont nés le même jour. Je n’avais jamais acheté les droits d’un livre, encore moins d’un livre aussi intime. J’ai été très étonnée que Clémentine me laisse aussi libre. Elle ne m’a jamais demandé qui j’allais choisir pour interpréter sa mère, quelles scènes j’allais garder du livre… Elle a une espèce de «punkitude ».

Votre film est hybride: il mêle archives, fiction, visions poétiques…

On a énormément travaillé au montage, ça a été une torture ! Une torture pour arriver à une forme d’extase. On a eu peur que ça ne tienne pas, que le récit s’éparpille. On a guetté ces petits moments de cassure. Dès qu’il y en avait trop, on les annulait.

Quels films sur la transmission ou sur la famille vous ont touchée ?

Une femme sous influence [de John Cassavetes, 1976, ndlr] m’a bouleversée, ce portrait d’une mère pleine de failles, jugée inapte, mais tellement aimante. J’aime infiniment Party Girl [de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis, 2014, ndlr], même portrait de femme bigger than life. Aftersun [de Charlotte Wells, 2023, ndlr] aussi, parce que c’est la dépression vue par une enfant, et L’Incompris de Luigi Comencini [1968, ndlr]. Les histoires qu’on raconte de Sarah Polley [2013, ndlr] a été une bible pour moi, si libre, hybride. Et Carré 35 d’Éric Caravaca [2017, ndlr], une magnifique quête de vérité.

Dites-lui que je l’aime de Romane Bohringer, ARP Sélection (1 h 32), en salles le 3 décembre