À Bruxelles, Marie et Juliette, deux enseignantes douées d’une détermination hors-du-commun, ont fondé une structure inédite, La Petite École, qui accueille des enfants de 6 à 15 ans n’ayant jamais été scolarisés. Souvent, ils et elles ont connu la guerre et l’exil, comme ces petits Syriens qui sont la majorité des « élèves » de cette classe très spéciale. Pendant des années, la documentariste Lydie Wisshaupt s’est immergée dans cet espace exigu (une grande pièce, une plus petite, une cuisine et une étroite cour intérieure) donnant sur une route pleine de voitures – au bord du danger, raccord avec la façon dont ces enfants ont appris à vivre.
Chaque jour, inlassablement, avec des micro-moyens, Marie et Juliette pensent et repensent la pédagogie, l’approche, les jeux, les mots à adopter avec eux. En tout premier lieu, elles ne leur apprennent pas à lire et à compter, encore moins le français, mais à maîtriser le temps, à structurer et découper leur journée en différentes activités. À ne plus flotter mais s’ancrer dans le présent. Car pour ces enfants déracinés, violentés et traumatisés, le poids du passé est écrasant.
Rien ne leur a été donné pour se penser comme des êtres à part entière et encore moins pour se projeter dans le futur. La grande révolution, au sens propre, des deux enseignantes, c’est que ce sont elles qui s’adaptent aux besoins des enfants et non l’inverse. Ainsi dans la superbe scène d’ouverture qui montre un petit céder à ses pulsions de destruction : il commence à frapper, casser tout ce qui l’entoure, ne disposant pas encore d’autre moyen pour traduire ses émotions.
Aucune punition ne lui est infligée, au contraire. Marie l’emmène dans la cour et lui fait clouer des planches, laissant ses propres doigts sous la menace du marteau – à l’exact limite entre danger et confiance –, prouvant au final qu’avec cette méthode, tous s’en sortent intacts, peut-être même un peu réparés.
À force de réfléchir en-dehors des cases, aussi au sein de groupes de réflexion avec des chercheurs en éducation, Juliette et Marie ont forgé à la sueur de leur front des nouveaux outils et approches bien plus adaptés aux enfants que le système scolaire rigide auquel leur Petite École les prépare pourtant. Et contre lequel certains butent ensuite ou dont ils décrochent, soudain bêtement évalués sur une liste de compétences fixes, des tests qui leur infligent une nouvelle humiliation souvent insurmontable. Le travail amorcé par le duo d’enseignantes est titanesque ; et se pose comme la pierre angulaire qui permettrait de faire enfin évoluer, enfin, l’école dans son ensemble.