« Bugonia » de Yórgos Lanthimos : farce d’alien

Avec ce récit d’enlèvement carnavalesque sur fond de péril extraterrestre, où déambulent des mâles blancs azimutés faisant surgir l’horreur et le grotesque, Yórgos Lánthimos mêle la faillite du langage à l’effondrement du monde.


Bugonia
© Focus Features

Maniaque de la recherche esthétique, sacralisant le scénario comme le cadre théorique, héraut d’un cinéma sous contrôle et doctement féroce, quoique manquant çà et là de vitalité, Yórgos Lánthimos n’a pas l’air du genre à rêvasser. Bien que son œuvre, bizarrement comique, présente souvent un défilé de personnages un peu perdus, un peu minables, fantasmant une autre condition. Huis clos plus accessible que d’autres films du cinéaste grec, Bugonia trouve un certain point d’équilibre entre science du malaise – ici, redoutable de drôlerie –, satire politique aux accents de thriller et pulsions aventureuses déjà en jeu dans Pauvres Créatures (2024).

Cette fois, l’auteur de The Lobster jette dans l’arène un pathétique duo de cousins célibataires et complotistes (mené par l’excellent Jesse Plemons), qui pense qu’il est urgent de kidnapper, de séquestrer, puis de tondre la patronne d’un groupe pharmaceutique (Emma Stone, jamais à court d’autorité gracieuse), pour éviter qu’elle ne dévoile son vrai visage d’alien voulant détruire la Terre… Laissant miroiter une farce crétine, violente, le film paraît capable de dérailler à chaque instant. Comme dans cette scène de confrontation entre ces deux mondes socialement antagonistes débattant autour d’une assiette de spaghettis bolognaise. Le personnage qu’incarne Emma Stone ne sait comment faire entendre raison à ses ravisseurs illuminés et coincés, car sa moralité est mise en doute – avant d’être kidnappée, elle s’est rendue coupable de flicage au travail, maniait sans états d’âme une novlangue managériale hypocrite…

Encore plus affolant dans le monde extérieur, avec ses cadres ensoleillés vidés de vie, saisissant l’horreur des rapports de domination (employée d’entrepôt mutilée refusant de s’arrêter; policier abuseur, glaçant de bonhomie), Bugonia montre, par des boucles d’outrance revigorantes, une parole devenue impuissante face aux brutalités sociales qui nous assaillent.

Bugonia de Yórgos Lánthimos, Universal Pictures (1 h 59), en salles le 26 novembre