« Anatomie du cinéma : Ce qu’il faut savoir avant de se lancer » : découvrez des extraits de ce guide cinéphile sensible et singulier

Professeur en pratiques du cinéma à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et cinéaste (« HH, Hitler à Hollywood », 2010, « Le cours de la vie », 2023), Frédéric Sojcher fait paraître ce 2 avril « Anatomie du cinéma : Ce qu’il faut savoir avant de se lancer », aux éditions Nouveau Monde. À partir de son expérience, ses souvenirs et ses recherches, et sans imposer une méthode, il y explique les enjeux fondamentaux de l’élaboration d’un film tout en restituant et questionnant, par ses rencontres et échanges avec des étudiants, ce que faire un film aujourd’hui signifie. On vous présente ce livre passionnant à travers trois extraits.


anatomie du cinema
Couverture d'Anatomie du cinéma de Frédéric Sojcher

EXTRAIT

❝ L’économie du cinéma et de l’audiovisuel ne se résume pas à un descriptif des différentes institutions publiques, des différents opérateurs privés. L’économie ne se réduit pas non plus à des données statistiques. Il faut comprendre comment les structures déterminent le type de films qui peuvent ou pas exister. Il est important d’apprendre les bases de l’écosystème cinématographique. C’est même peut-être ce qu’il faut commencer par transmettre pour saisir « ce qui fait » et « ceux qui font » le cinéma.

Quand j’étais étudiant, je considérais comme une corvée d’assister à un cours portant sur des notions d’économie et de droit du cinéma. Aujourd’hui, c’est ce cours que je donne. Si mes étudiants poursuivent comme je l’espère leur parcours dans le cinéma au-delà des études, en faisant de leur passion un métier, les questions juridiques continueront de les accompagner – parfois même sans qu’ils ne s’en rendent compte.

Il s’agit de rendre le droit incandescent, de comprendre qu’il faut se battre politiquement pour qu’il soit au service des idées que l’on défend – pour ne pas à avoir à assister passivement à la libéralisation de normes juridiques qui protègent spectateurs et corporation. Il s’agit de revendiquer des possibilités de réalisation en dehors de la seule logique marchande. ❞


Frédéric Sojcher

EXTRAIT

❝Selon Bertrand Tavernier, la conception d’un scénario est aussi culturelle. Le cinéma classique français aurait tendance à se concentrer sur les personnages. On suit leurs parcours psychologiques. Le cinéma classique américain au contraire aurait tendance à privilégier l’action : c’est par l’action que le protagoniste s’y révèle, et non par sa psyché. Cette distinction entre le cinéma français et le cinéma américain – qui comme toute généralité souffre bien sûr d’exceptions – s’élargit en une différenciation plus vaste encore. Il y aurait une manière occidentale de concevoir le monde à travers un certain mode fictionnel et une approche du récit totalement différente dans d’autres civilisations.

Il suffit pour s’en rendre compte de voir le rythme de certains films chinois et leur côté contemplatif, qui ne sont en rien compatibles avec les règles assénées par les manuels de scénario américains. On n’a pas toujours conscience de l’ethnocentrisme qui nous habite. Les dogmes scénaristiques tels qu’habituellement ils s’enseignent seraient empreints d’a priori culturels.

La difficulté, quand on aborde le scénario dans sa dimension anthropologique, réside dans la porosité qui existe entre cinémas du monde. Certaines productions non occidentales copient les scénarios américains, tentent d’en appliquer les recettes. La plupart des producteurs européens, mais aussi la plupart des producteurs indépendants de par le monde n’ont pas les moyens d’investir en rémunérant correctement les scénaristes… avant de savoir si le film se réalisera… car s’il ne se fait pas, cet investissement se ferait en pure perte. Un jeune cinéaste doit selon George Lucas être aussi le scénariste de son projet, pour préserver les chances d’être produit.

Cela explique pour partie pourquoi tant de cinéastes en France sont aussi scénaristes. Ils n’ont pas les moyens de rémunérer un scénariste professionnel.

Ou alors il faut d’emblée fonctionner en binôme. Le duo est magique quand il est constitué par un scénariste et un cinéaste portés par une même envie de cinéma. Il est rare qu’un scénariste qui n’a pas encore écrit de film se voie passer commande d’un projet. L’association entre un jeune cinéaste et un jeune scénariste a du sens. Mais comment se rencontrer si ce n’est dans une formation enseignant le cinéma ? L’effet promotion joue. ❞


Frédéric Sojcher

EXTRAIT

❝Avoir suivi chaque année les films des étudiants me fait connaître leurs préoccupations. Échanger avec eux sur ce qui les porte et les emporte me permet de saisir les défis auxquels « ils », « elles » et « nous » devons faire face. Je crois aux vertus du dialogue inter- et transgénérationnel.
Parfois, aussi, des déceptions.

J’ai accompagné les étapes scénaristiques d’un film qu’une étudiante voulait réaliser sur sa grand-mère, résidant en Israël. Elle souhaitait à la fois faire une déclaration d’amour à sa « mamy », tout en étant en désaccord avec elle sur son soutien à la politique menée par Netanyahou.

Parallèlement, elle avait des idées de scènes pour montrer comme elle ressentait avec frayeur la montée de l’antisémitisme en France. Ce que je trouvais passionnant dans son projet, c’est qu’elle tenait à rendre compte des tiraillements qui peuvent exister entre l’affect et la raison… Un partenariat entre TV5 Monde et le master permettrait d’avoir un petit financement pour qu’elle aille tourner en Israël. Mais cette étudiante renonça d’elle-même à son film, de peur du regard des autres. ❞


Frédéric Sojcher

: Anatomie du cinéma : Ce qu’il faut savoir avant de se lancer de Frédéric Sojcher (Nouveau monde éditions), parution le 2 avril