
Édito : Dans un paysage rural et sans âge de la Chine centrale – champs cultivés, ciel bleu, collines –, un homme, blessé à la jambe, lâche ses béquilles pour prendre lourdement appui sur l’épaule de la femme qui l’accompagne, et qui ne ploie pas. La scène se passe au début du nouveau film de Jia Zhang-ke, Les Éternels, et annonce la suite : quelques minutes plus tard, la femme ne ploiera pas non plus lorsqu’il s’agira de dégainer une arme pour sauver l’homme (un mafieux) de l’assaut d’une bande rivale. Tout au long du film, Qiao, héroïne puissante et opiniâtre, se dressera ainsi comme un pilier, une force tranquille et insubmersible.
La très grande actrice qui l’interprète, Zhao Tao, porte elle-même tout le film (et, pourrait-on presque dire, toute la filmographie de Jia Zhang-ke, son mari), qui court sur trois époques, de 2001 à aujourd’hui – une durée qui permet à nouveau au réalisateur d’Au-delà des montagnes de saisir les mutations de la Chine à l’ère capitaliste. Face à l’hystérie amnésique et un peu niaise de ce nouveau paradigme (dans lequel le film trouve d’ailleurs un vrai souffle comique), Qiao la loyale, la constante, l’obstinée, l’inventive (il faut voir comment, incarcérée puis libérée, elle se reconstruit seule) semble incarner quelque chose de l’ancien monde – une mémoire. Pilier du film et gardienne de l’histoire, c’est bien elle l’éternelle du titre. • JULIETTE REITZER