Kōji Fukada, réalisateur de « Love on Trial » : « Le film illustre une culture où règne un patriarcat très fort, une domination masculine très marquée »

Présenté à Cannes Première, le nouveau film de Kōji Fukada (deux ans seulement après l’hyper sensible « Love Life) s’intéresse avec une même acuité à une relation amoureuse chahutée, puisque proscrite par contrat à Mai, protagoniste exerçant le métier très convoité d’idole. Rencontre avec le cinéaste japonais, habitué du festival.


LOVE ON TRIAL 2
Love on Trial

Love on Trial s’intéresse au phénomène des idoles, ces jeunes femmes des girl bands japonais qui chantent l’amour sans avoir le droit de le vivre, comme stipulé dans leur contrat. Qu’est-ce qui vous intéressait dans ce paradoxe en termes de cinéma ?

En 2015, deux agences ont porté plainte contre de jeunes idoles de sexe féminin, en leur réclamant des dommages et intérêts, car elles avaient entretenu des relations amoureuses au mépris de leur contrat. Je me souviens avoir été très surpris et assez gêné d’entendre qu’une telle chose était possible, car je ne me l’imaginais même pas d’un point de vue légal. À l’époque, je n’avais pas de connaissance particulière sur ce milieu-là même si les idoles sont partout – au cinéma, à la télé… – et que ce phénomène imprègne la culture pop japonaise. Je savais qu’il existait cette règle tacite autour du fait d’avoir des relations amoureuses, sans connaître la manière dont elle s’appliquait concrètement. Ça m’a intéressé de voir qu’à partir de cette question du milieu artistique, la question des libertés individuelles pouvait être abordée.

La société japonaise a tendance à considérer comme normal le fait qu’une idole doive renoncer à sa vie amoureuse ; il y a une partie de l’opinion qui pense qu’exercer ce métier implique ce genre de sacrifices, qu’il n’y a pas quoi en faire toute une histoire. Je trouvais que ce climat ambiant, cette opinion assez favorable à la restriction des droits individuels, donnait un sujet de film intéressant.

Le film débute sur une scène de concert où l’on découvre, au gré de plusieurs valeurs de plans, les différentes strates de pouvoir qui enserrent les filles du groupe Happy Fanfare. Quels ont été vos enjeux à la mise en scène ?

En me renseignant sur le phénomène des idoles, j’ai découvert qu’il arrivait très souvent que pour économiser le loyer, les agences fassent vivre ces jeunes filles dans des sortes d’internat. La vie quotidienne dépeinte dans le film est assez proche de la réalité ; des idoles ayant vu le film m’ont confié qu’elles avaient eu l’impression qu’il s’agissait presque d’un documentaire tant les images étaient proches de leur quotidien. Pour toute cette première partie, nous avons plutôt tourné caméra à l’épaule, au plus près des filles de Happy Fanfare et de la façon dont elles vivent, pour rendre l’aspect réaliste qui m’intéressait. Après, comme il s’agit aussi du récit d’une rencontre amoureuse, il a fallu s’adapter à la situation particulière de ces jeunes femmes et des relations clandestines qu’elles entretiennent, d’où le nombre important de scènes de nuit et la place cruciale des costumes, Mai étant obligée de se grimer pour voir Kei, le mime dont elle est amoureuse.  Vous me posiez cette question car un élément vous a interpellée en particulier ?

Oui, j’ai trouvé intéressant qu’elles soient cadenassées dans de tout petits espaces – dans le minivan, au sein de leur chambre, et même sur scène… – avec le sentiment que leurs mouvements sont restreints.

Merci beaucoup pour ce commentaire. En effet, c’est ce que je voulais retranscrire car si l’agence fait vivre toutes les filles au même endroit, c’est aussi pour mieux pouvoir les contrôler. Bien sûr, elles ne sont pas encore très connues donc on peut supposer qu’économiquement, ça ne tourne pas encore assez pour qu’elles mènent une grande vie, mais les contraindre à ces espaces resserrés facilite le fait de les garder sous contrôle. Dans les documentaires que j’ai visionnés sur la vie des idoles, il était clair que les jeunes femmes ne jouissaient d’aucun pouvoir décisionnel, qu’elles ne faisaient qu’exécuter les consignes et les ordres qu’on leur donnait, avec cet aspect très restreint de leur libre-arbitre. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi des espaces relativement confinés qui donnent le sentiment qu’elles ne sont pas libres de leurs mouvements. Nous avons travaillé de façon totalement différente dans la seconde partie, qui tient plus du film de procès, avec des cadres qui ne bougent et la caméra sur trépied.

: Love on Trial de  Kōji Fukada (Art House / mk2 Films, 2h03), sortie le 4 février 2026