CANNES 2025 · « Miroirs No. 3 » de Christian Petzold, de l’autre côté  

Le prolifique Christian Petzold (« Ondine », « Le Ciel rouge »…) et sa fidèle troupe de comédiens, habitués de la Berlinale, investissent la Quinzaine des cinéastes par une fable comme une ligne claire, mise en scène avec une grâce peu commune.


Miroirs No. 3
© Christian Schulz/Schramm Film

C’est l’histoire d’une femme miraculée, presque ressuscitée, après un accident de voiture qui coûte la vie à l’homme qu’elle n’aimait plus. Voilà qu’elle est recueillie en pleine campagne par une famille d’adoption, qui voit en elle comme un Messie. Les métaphores religieuses ne manquent pas, sans doute car du film émane une limpidité qu’on croirait touchée par la grâce. Christian Petzold a la foi, celle d’un cinéaste prolifique et intarissable, obstiné par un idéal : raconter l’existence dans ce qu’elle a d’impalpable à l’œil nu. 

Dans Miroirs No. 3, l’image d’un rideau agité par le vent suffit à saisir l’intuition d’une vie prête à basculer, mais aussi de la vie – et peut-être aussi du cinéma – comme une toile vierge où se greffent autant de pliures. Nul besoin du recours à la « grande histoire », nul besoin d’artifices : Petzold s’en tient au vent qui agite le rideau, un point c’est tout. Jusqu’à ne faire aucun mystère du nœud de l’intrigue, qu’on devine sans trop d’effort – sacrilège ! Aux récits à suspense qui émaillent nos imaginaires et qu’on connaît de toute façon par cœur, le cinéaste préfère une forme buissonnière qui n’exige rien de ses personnages et en premier lieu de son héroïne, incarnée par l’actrice « petzoldienne » Paula Beer. 

Le lien très fort qu’elle tisse avec ses anges gardiens, une femme – sublime Barbara Auer – et les deux hommes autour d’elle, mécaniciens pour de riches clients non loin, voilà l’enjeu du film. Voilà qui tient d’un miracle fragile, circonscrit à un havre boisé qui rappelle la maison du Ciel rouge (2023). Serait-ce à dire que le cinéaste rêve désormais d’un refuge comme d’un lieu hors système, hors-jeu ? 

Un lieu dont l’utopie tiendrait au seul plaisir d’une balade à vélo, contre tout le reste. Ce qu’affirme Miroirs No°3, c’est aussi bien l’urgence à repenser nos récits, à faire sécession ; quitte à saboter la bagnole de son héroïne, à nous faire dérailler. C’est dire que le cinéma se doit précisément d’être un refuge, en tout cas un espace où soudain, imperceptiblement, l’on passe de l’autre côté du miroir.

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