CANNES 2025 · « L’Aventura » de Sophie Letourneur : chaos à quatre 

Et ça repart. Après « Voyages en Italie » (2023), la reine de la comédie hyperréaliste Sophie Letourneur nous embarque encore dans les vacances italiennes de Sophie, son alter-ego fictif, qu’elle joue, et Jean-Philippe (Philippe Katerine), avec « L’Aventura », présenté en ouverture de l’ACID à Cannes. Le couple le plus nature-peinture du cinéma français est cette fois flanqué de deux gamins intenables. Une suite comme espérée, c’est-à-dire jouissive et surprenante, où une nostalgie limpide et profonde finit par se dégager d’un grand bordel apparent.


AVENTURA Tourne Films Atelier de Production
L'Aventura de Sophie Letourneur (c) L'Atelier de production

Dans Voyages en Italie, Sophie et Jean-Phi tentaient de donner un nouvel élan à leur couple, en s’offrant du bon temps en Sicile, loin de Paris et des enfants. Dans L’Aventura, ils jettent leur dévolu sur la Sardaigne, et ajoutent dans l’équation leurs deux mômes chamboule-tout, incarnés par de jeunes acteurs stupéfiants de naturel : Raoul (Esteban Medero) qui, du haut de ses 3 ans, prend un malin plaisir à pousser tout le monde à bout, et inspire des running gags géniaux. Et Claudine (Bérénice Vernet), bientôt 11 ans, née d’une précédente union de Sophie, qui entame sa crise d’ado et veut absolument documenter tous ces moments, dans l’idée d’en faire un film avec sa mère. 

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Hyperréalisme, humour cru et moments suspendus… La formule déjà efficace du premier volet est ici amplifiée. On n’est pas loin des clichés chaotiques du Britannique Martin Parr, qui a capturé avec une ironie tendre les loisirs et vacances de la classe moyenne. Dans la forme, le film prend des risques, en déstructurant sa narration, avec des récits qui s’enchâssent – Sophie et Claudine récapitulent chaque jour les micro-événements qui ont jalonné leurs vacances, ce qui donne lieu à des allers-retours volontairement bordéliques entre présent et passé proche.

On sent comme une urgence à vouloir enregistrer ces souvenirs alors même qu’ils viennent d’être vécus, la conscience de leur fragilité, de leur disparition imminente dans les mémoires. Derrière un sens de la dérision irrésistible (les amateurs de blagues scatos seront comblés), un rythme fou bien soutenu, la mélancolie s’immisce à l’intérieur d’images ciselées, sortes d’instantanés – le plan furtif d’une main sur une cuisse, vite repoussée, pour dire l’érosion du désir dans le couple ; un travelling suivant la marche solitaire et triste de Jean-Phi…  

On adhère totalement à cet hommage à un tourisme buissonnier, anticonformiste (l’esprit du cinéma de Jacques Rozier se fait sentir, tout comme la référence à L’Avventura d’Antonioni, grand film sur l’ennui et le vide existentiel) autant qu’à toutes ces archives intimes qui peuvent s’entasser chez nous, prendre la poussière, mais raniment toujours des sentiments forts dès qu’on les (re)découvre. C’est la beauté simple mais parfois terrassante du banal que défend Sophie Letourneur film après film, avec un entêtement touchant. 

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