
Quelle est la première image qui vous est venue en préparant le film ?
C’était surtout les images du rêve à l’intérieur du rêve [qui, dans le film, apparaissent à l’héroïne une première fois, furtivement, lors d’une séance d’hypnose, ndlr]. Celles de deux enfants qui marchent dans la neige avec un parent sans aucune raison. Une image qui vient de l’enfance, de l’inconscient. Au moment du tournage, Rebecca [Zlotowski, ndlr] a trouvé le moyen d’utiliser l’I.A. pour construire quelque chose qui était un peu bizarre, fabriqué, truqué, mais en même temps très émotionnel, très inconscient. Et c’est la meilleure façon de travailler avec l’I.A. : la contrôler pour modifier, déréaliser quelque chose et que ça produise une sorte de résonance intérieure.
Quelle est la première impression que Rebecca Zlotowski vous a faite ?
La première fois que je l’ai vue, c’était sur Zoom, mais ce n’est jamais la même chose. Alors elle a décidé de venir à Los Angeles, elle a pris l’avion et on a parlé du scénario pendant 7h. J’avais acheté des sandwichs, des soupes, plein de choses. Je ne savais pas, je me suis dit « elle est française, elle va vouloir manger ». Et puis, au final, on n’a rien mangé. On a parlé beaucoup, beaucoup. C’est une chose que j’aime chez elle, elle s’exprime tellement bien, elle est tellement intelligente, mais elle a aussi beaucoup d’humour. Et moi, quand je dois parler de quelque chose de sérieux, il faut qu’il y ait de l’humour.
Est-ce que vous rêviez d’un rôle principal en français ?
Oui ! En fait, j’ai fait des films en français. Un petit rôle chez Jean-Pierre Jeunet [dans Un long dimanche de fiançailles, 2004, ndlr] et un plus grand rôle dans un film français quand j’étais jeune [La Petite fille au bout du chemin de Nicolas Gessner, ndlr]. Et puis le film de Chabrol [Le Sang des autres, en 1984, dans lequel elle campe une résistante dans la France sous l’Occupation, ndlr]. J’ai toujours voulu faire un projet dans lequel je parlais beaucoup français, et pour lequel je pourrais passer un mois à me perfectionner. Vie privée m’a permis de venir vivre un peu à Paris et de parler français tous les jours et pas anglais, c’était un rêve pour moi. J’avais déjà habité à Paris, pendant huit mois. On a acheté un appartement quand j’avais 14 ans, j’ai fait un film à Paris [La Petite fille…, ndlr] et j’y ai passé 8 mois. Plus tard dans ma vie, j’y ai eu un appartement et je l’ai gardé 30 ans. Je venais tous les trois mois, quelque chose comme ça. Mais je n’y ai jamais vécu à proprement parler. Peut-être que je viendrais vraiment m’y installer à la retraite. C’est une ville que j’adore et dans laquelle je me sens très bien.

Ce rôle totalement en français, est-ce que ça a modifié votre manière de jouer ?
Je pense que je suis complètement différente dans la langue française que quand je parle en américain. Déjà, ma voix est plus haute, et puis je manque de confiance en moi. J’ai peur de faire des fautes et j’ai un vocabulaire très limité. Ca me rend plus vulnérable, plus fragile.
Quel est votre rapport aux deux domaines du rêve qui sont explorés dans le film, l’hypnose et la psychanalyse ?
Une fois, je me suis fait hypnotiser, c’était pour arrêter de fumer. J’avais 28 ou 29 ans et j’étais vraiment une grande fumeuse. Je fumais tout le temps et je n’arrivais pas à arrêter. J’avais essayé tellement de fois. Je devenais caractérielle quand je ne fumais pas. Alors, j’étais allée voir un hypnotiseur… et je n’ai rien senti. Je ne suis pas entrée en transe. J’ai trouvé ça complètement bête. Il m’a demandé de faire ceci, cela, je l’ai fait. Je suis sortie, je lui ai donné 95 $ et je me suis dit « Oh, c’est bête ! Comment est-ce que j’ai pu lui donner 95 $? Je ne sens rien. Je pourrais fumer là. » Et je n’ai jamais refumé.
Et la psychanalyse ?
La psychanalyse freudienne ? Non, parce que ça ne fait pas vraiment partie des États-Unis. Un tout petit peu à New York, mais c’est un peu dépassé pour nous, parce que Freud était raciste, misogyne, xénophobe et nous, on n’aime pas ça. Enfin… à l’époque [avant l’ère Trump, ndlr], on n’aimait pas ça. C’est une chose que j’ai vraiment découverte ici, en France, même si j’ai beaucoup étudié Freud et Lacan dans mes cours de littérature [à l’université de Yale, dont elle est diplômée, ndlr]. C’est une lentille exceptionnelle pour ausculter en profondeur le cinéma, la littérature… C’est une malle au trésor.
Dans le film, vous formez un duo irrésistible avec Daniel Auteuil, qui campe l’ex-mari de l’héroïne et avec lequel elle mène l’enquête sur sa patience décédée. Comment avez-vous atteint ce niveau de complicité et d’intimité ?
C’est marrant parce que je connais son visage depuis très longtemps. J’ai vu tous ses films qu’il a faits dans sa jeunesse. C’était comme s’il était mon frère. En le rencontrant, j’ai eu l’impression de retrouver le même visage que quand il était petit, comme si on avait vécu ensemble. Il y avait aussi le fait que Daniel est drôle et gentil. Il est doux, parce qu’il a cette culture du sud [Daniel Auteuil a grandi à Avignon, ndlr]. Et puis, vraiment, il n’arrête pas de me faire rire. On a découvert que c’était bien pour les personnages, parce qu’elle [l’héroïne, ndlr] est assez sérieuse.

Vous êtes un immense modèle à la fois par votre talent d’actrice et de réalisatrice, mais aussi par votre statut unique en tant que femme queer puissante à Hollywood. C’est important pour vous, cette question de la représentation, d’être un modèle pour la jeune génération ?
Moi, je ne me vois pas comme un modèle de quoi que ce soit. Je suis simplement vraie. Je suis humaine et c’est la seule chose que j’ai voulu dans ma vie, c’est de pouvoir vivre d’une façon humaine, authentique, que ce soit dans le jeu ou dans la vie. Alors, j’ai tout fait pour garder ça. C’est à dire que j’ai gardé une vie très privée pendant des années [elle a parlé pour la première fois publiquement de son homosexualité à la cérémonie des Golden Globes, en 2013, ndlr]. Je ne pense pas que j’aurais survécu à une vie publique. C’est toujours très difficile à expliquer à mes enfants. Je me souviens quand ma mère me disait « C’est tellement difficile de t’expliquer ce que c’était la Seconde Guerre mondiale. Comment c’était, les sentiments, les angoisses… C’est impossible ».
De même pour mes enfants de leur expliquer ce que c’était de vivre dans les années sida, par exemple. Ils ne peuvent pas comprendre ce que c’était d’avoir tous les trois jours un ami qui mourrait. Et c’est vrai que c’est impossible pour moi d’expliquer ce que c’était que d’avoir 3 ans [elle a commencé sa carrière à cet âge, en tournant dans des publicités, ndlr] et d’être une figure publique. J’ai tout fait pour survivre. C’était pas évident, surtout à l’adolescence. Avoir 12 ans, 13 ans, 14 ans et être connue [après son rôle dans Taxi Driver de Martin Scorsese, qui l’a propulsée au rang de star mondiale à l’âge de 13 ans, elle a notamment été approchée par un déséquilibré pendant des années, qui a été jusqu’à tenter d’assassiner le président des Etats-Unis Ronald Reagan en 1981 pour attirer son attention, ndlr]. C’est impossible à expliquer aux gens.
Quelle est la première image, vue au cinéma ou à la télévision, qui a résonné avec votre identité queer ?
Je ne saurais pas dire pour la première image, mais il y a eu unfilm français ces dernières années qui était vraiment bien, 120 battements par minute de Robin Campillo [film de 2017 retraçant la lutte des militants d’Act Up-Paris contre les ravages du sida dans les années 1990, ndlr]. Super film.
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