CANNES 2025 · Oliver Laxe : « Le cinéma est encore un lieu dans lequel on peut proposer de transcender la mort »

Avec l’électrisant « Sirāt », le réalisateur franco-espagnol a transporté la Croisette dans le désert marocain et l’univers des rave parties. Rencontré sur la terrasse du Palais des Festivals, Oliver Laxe est à l’image de son film : un brin mystique et éminemment dans le collectif. Celui qui demande expressément à ce qu’on le tutoie a la pensée bondissante et le verbe précis. Et semble encore hanté par cette expérience hors-norme.


Oliver Laxe
© TROISCOULEURS

Quelle est la première image du film qui t’est venue ?

Celle d’un train chargé d’êtres humains dans un pays du sud inconnu. Les images n’ont pas d’explication. Elles ont un côté subtil, ésotérique et il ne faut pas mettre du sens partout. Laissons-les collisionner les unes avec les autres. C’est une image qui est restée à la fin du film. Dans ce train, il y a peut-être les échos d’un crépuscule, d’un monde qui finit. Et peut-être, pourquoi pas, ceux d’un monde qui va commencer.

Justement, sans tout dévoiler, il y a un moment de bascule dans Sirat, extrêmement violent, et qui entraîne les personnages dans une spirale infernale. Avec le recul, penses-tu avoir fait un film plutôt nihiliste ou porteur d’espoir ?

Porteur d’espoir. Il y a de l’acceptation et même du ré-enchantement chez mes personnages. Il y a de la foi. La foi, c’est sentir que lorsque la vie s’exprime, même avec un accident, il y a derrière un cadeau, un apprentissage. La tragédie nous fait grandir. Je voulais que les spectateurs fassent comme le personnage de Luis [incarné par Sergi Lopez, ndlr], c’est-à-dire soient poussés à regarder à l’intérieur d’eux-mêmes. Lorsque nous sommes nus, l’égo démoli, au bord de l’abîme, la vie est en train de nous demander qui nous sommes. Je pense que la mort configure notre psychologie à tous. Tout mon cinéma parle de cela, mais en considérant la mort comme une porte vers quelque chose. Nous habitons une société très thanatophobique et je crois que le cinéma est encore un lieu dans lequel on peut proposer à l’être humain une cérémonie pour apprendre à transcender la mort. C’est elle qui nous fait dialoguer plus intensément avec la vie.

D’où est venue cette envie de suivre des raveurs dans le désert marocain ?

J’aime beaucoup les véhicules, donc j’avais envie de filmer des camions dans le désert. Quand je préparais l’un de mes films précédents, Mimosas [qui a obtenu le Grand Prix à la Semaine de la Critique en 2016, ndlr] j’habitais dans une palmeraie au Maroc. Une nuit, j’ai commencé à entendre des beats, des kicks. Une teuf était en train de s’organiser et j’y suis allée. Tout cet imaginaire de fin du monde, de désertion vers le sud, s’est incarné à ce moment-là. J’espère que les images vont accompagner les spectateurs et, si c’est le cas, qu’elles seront bénéfiques.

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Sirat 2
© Pyramide Distribution

Comment as-tu travaillé pour rendre à l’écran l’énergie très particulière, presque tribale, de la danse dans ces free parties ?

Pour moi, les images sont aussi du son, de la musique. Je suis moi-même un peu musicien, j’ai un rapport particulier au rythme et à la sensualité de l’image. J’ai proposé aux acteurs de travailler avec une chorégraphe, Kynsie. L’idée, c’était de danser en étant connecté à soi-même, en écartant tout égo. À un moment d’ailleurs, j’ai envisagé comme titre une phrase de Nietzsche, « je ne croirai pas à un Dieu qui ne danse pas ». Finalement, j’ai choisi le terme « Sirat » aussi pour sa musicalité.

On imagine que le tournage en plein désert marocain n’a pas dû être facile tous les jours…

Je cherche toujours les problèmes. On a tourné en juin et juillet, ce n’est pas la meilleure lumière, pas la meilleure température non plus… On avait pensé à tourner au printemps en Espagne pour la teuf, mais il allait faire trop froid, les gens n’auraient pas dansé. Et puis je suis persuadé que le désert te donne beaucoup en t’enlevant des choses. Il t’oblige à accepter, te remet à ta place.

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Sirat 4
© Pyramide Distribution

Comment as-tu casté tes acteur·ices non-professionnel·les, qui présentent pour beaucoup des corps peu vus au cinéma, notamment porteurs de handicap ?

Je travaille toujours avec des acteurs sans expérience. Bigui [qui porte le même prénom dans le film, ndlr] est un ami que je connais depuis longtemps. Il était dans une manifestation de Gilets Jaunes lorsqu’il a reçu une grenade qui a fait exploser sa main. Et puis on a fait un casting de teuf en teuf. On a cherché de la vérité, des gens qui pouvaient exprimer différents archétypes : un pirate, un freak, un voyageur… On a surtout pensé à créer une famille avec des personnes simples mais qui ont déserté. Celles que nous avons castées essaient toutes d’avoir une cohérence radicale dans leur vie, ce qui est assez difficile. Rûmî, un poète mystique perse, disait que les plus beaux cœurs sont les cœurs brisés, car la lumière passe au travers. Dans cette culture de la teuf, il y a l’éloge de la blessure. On la montre, on vit avec et je voulais aller vers ça dans le film. D’ailleurs, le processus créatif lui-même m’a aidé, moi, à arrêter de fuir mes blessures.

Sirat 3
© Pyramide Distribution

Faire ce film t’a-t-il changé ?

Oui. Ça m’a enlevé de l’arrogance, de l’orgueil. J’ai moins de névroses. J’accepte plus mon imperfection en tant qu’être humain. Mais je suis vraiment allé très loin avec ce film et la suite dépendra de son effet. Je n’ai pas de projet et pas nécessairement envie d’en avoir. Je fais un film tous les cinq ou six ans et si je dois dilater un peu plus cette fois-ci, je le ferai.

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