
Après avoir condamné la répression des artistes en Iran dans une tribune, vous avez été arrêté et avez passé sept mois dans la prison d’Evin entre 2022 et 2023. Ce film est-il né de cette expérience ?
L’expérience de la prison est au cœur de l’écriture mais ce n’est pas la mienne, propre et individuelle. Il n’y a pas que moi qui ai été confronté au type d’interrogateur en prison que l’on retrouve dans le film. Ces inspecteurs sont vos interlocuteurs tant que vous n’avez pas été jugé. Ils sont là pour vous tirer les vers du nez pendant toute la première phase d’emprisonnement, qui n’est pas une garde à vue et dure un certain temps avant que vous puissiez rencontrer un avocat et avoir un procès. Par la suite, même une fois que vous êtes jugé et qu’on vous attribue une peine, vous allez vers une autre section de la prison où en général, vous êtes moins isolé. Mais cette première phase d’interrogatoire est propre à tous les prisonniers iraniens. Et cela se fait toujours avec les yeux bandés pour les prisonniers, donc vous ne voyez jamais le visage de la personne qui vous interroge.
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Quelle est la première image qui vous est venue pour Un simple accident ?
Je pense que c’est cette plaine, ce paysage désertique avec la tombe et l’arbre. Et très vite m’est apparu le parallèle avec la pièce de théâtre En attendant Godot, son arbre et ses gens qui attendent.
Comment articuler la comédie et le drame, garder un équilibre entre les deux ?
Je pense que c’était le projet qui appelait cette multiplicité de ton. Chaque histoire, chaque scénario se prête plus ou moins à un genre ou un autre et ici, c’était l’ADN du film que de se permettre de pencher par moment davantage vers l’un ou l’autre.
Tout le dilemme moral du film, c’est de savoir si les victimes doivent appliquer les mêmes méthodes que leurs bourreaux. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette question ?
Ce qu’on peut penser à première vue, c’est que si un jour on se retrouve dans un rapport de force inversé, et qu’on a entre les mains cette personne qui vous a fait subir des sévices et des humiliations, on va lui rendre la pareille. Mais en général, ce n’est pas ce qui se passe précisément parce que vous savez ce que signifie d’endurer cette violence. Ce n’est pas si simple de changer de rôle. C’est pour cela qu’on donne à voir dans le film différentes personnes qui réfléchissent quant à la conduite à tenir. Que va-t-il advenir si on perpétue cette violence ? Les personnes qui se posent la question sont celles qui vont un peu plus loin que le stade premier de la vengeance individuelle, pour se demander plutôt quel sera l’avenir de ce pays, de cette société. C’est en regardant plus loin que la question devient plus vaste.
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Depuis 2010, vous étiez frappé d’une interdiction de tourner, ce qui ne vous a pas empêché de faire des films. Cette injonction vient de tomber. Cela a-t-il changé quelque chose pour fabriquer Un simple accident ?
Cette interdiction qu’on m’avait signifiée de vingt ans a finalement été levée au bout de quinze ans pour la simple raison que dans la propre législation iranienne, il n’est pas possible qu’elle dure plus longtemps. Mais cela ne change rien puisque la marche à suivre en Iran est d’aller soumettre son scénario au ministère de la censure pour avoir une autorisation de tourner le film. Bien entendu, je ne l’aurais jamais eue. Formellement, mon statut légal a changé mais dans les faits, je suis obligée de travailler clandestinement.
Quelles ont donc été les conditions de tournage du film ?
Il y a un certain nombre de précautions à prendre, qui sont devenues la norme pour nous, comme le fait de ne pas utiliser nos téléphones portables personnels mais d’en utiliser à puce. La règle générale, c’est d’abord le fait d’avoir des tournages rapides. On ne peut pas tourner pendant trois ou quatre mois sans que cela se sache. Il faut une équipe réduite, à laquelle on demande de ne surtout pas parler du type de film sur lequel elle travaille, en espérant que la nouvelle ne se répande pas et qu’on puisse aller au bout du processus. Évidemment, aucune photo, aucune information, aucune publicité ne doit exister avant la sortie. Malgré tout, souvent, on frôle l’arrêt pur et simple du tournage. C’est ce qui nous est arrivé avec Un simple accident : il nous restait deux ou trois jours lorsque nous avons eu un contrôle. Une quinzaine de personnes en civil sont venues et voulaient nous empêcher de continuer. On a dû interrompre le tournage pendant un mois avant d’achever le film. Mon cinéma est un cinéma de guérilla.
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