CANNES 2025 · « Merlusse » de Marcel Pagnol brille à Cannes Classics dans une version restaurée

Œuvre discrète et méconnue de Marcel Pagnol, cette fable de Noël, cruelle et enfantine, témoigne du génie précurseur du cinéaste et écrivain originaire d’Aubagne. Elle est à redécouvrir à Cannes Classics, dans une version restaurée par mk2.


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"Merlusse"

Un an avant de réaliser César, troisième opus de sa trilogie marseillaise, Marcel Pagnol a signé, en 1935, un film oublié – sans doute parce que, loin des cigales, du sel de la mer et du soleil éclatant, il prend place au cœur de l’hiver, dans le pensionnat du lycée Thiers de Marseille. Comme souvent chez Pagnol, il s’agit d’étudier une communauté, un microcosme, des individus en conflit capables de finalement faire corps. Soit, ici, une bande d’orphelins, d’enfants oubliés, qui à l’heure où leurs camarades rentrent dans leur famille pour les fêtes, se retrouvent cruellement seuls. L’épreuve s’annonce dure, surtout qu’ils seront surveillés par le plus terrorisant et détesté des pions : Monsieur Blanchard le balafré, borgne à cause d’une blessure de guerre, que les plus grands surnomment Merlusse « parce qu’il sent la morue ».

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Derrière ses airs austères, Merlusse – campé par l’irrésistible Henri Poupon – se révèlera être un solitaire au grand coeur. Tout le génie de Marcel Pagnol, de son verbe charnel et généreux, consiste à révéler cette identité cachée grâce à une écriture romanesque vivace, des dialogues piquants et désarmants de naturel. On oublie trop souvent que Pagnol, écrivain et cinéaste populaire, a démocratisé les prises de son en direct dans des décors naturels, bien avant que la Nouvelle Vague n’en fasse un dogme esthétique.

À ce titre, Merlusse porte la trace d’un cinéma moderne, en pleine révolution technique, que son auteur a su prendre au vol – en témoigne aussi son sens du rythme, millimétré comme du papier à musique, et du cadre, caractérisé par une profondeur de champ qui cache et révèle, un peu comme chez Renoir. Affranchi de l’étroitesse des studios, Pagnol déploie ici sa caméra comme un œil vivant, doté d’un don d’ubiquité, qui slalome dans les couloirs de l’internat, lieu clos saisi avec beaucoup de réalisme. Tourné dans le lycée de son enfance, Merlusse est un voyage dans le passé pour Pagnol. Il veut imprimer la décrépitude des murs, les fissures, la solitude des âmes adolescentes qui traînent leur peau pour oublier leur solitude. Mélancolique, quasi documentaire, Merlusse a inspiré de nombreux cinéastes, jusqu’à Alexander Payne, qui en a réalisé un remake en 2023, Winter Break.

Merlusse est projeté le mercredi 21 mai dans le cadre de Cannes Classics à l’occasion du cinquantenaire de la disparition de Marcel Pagnol, du 130e anniversaire de sa naissance, et des 70 ans de sa présidence du Jury.

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