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« Une femme indonésienne » de Kamila Andini : desperate housewife

  • Olivier Marlas
  • 2022-12-08

Comment filmer les sentiments d’une femme qui semble avoir renoncé à toute sorte de passion ? Avec cette valse cotonneuse d’une fascinante rigueur formelle, la réalisatrice Kamila Andini sonde les profondeurs d’un monde intime, cadenassé par son époque.

Libre adaptation d’un roman indonésien centré sur Raden Nana Sunani, une Sundanaise (l’une des principales ethnies du pays) qui a mené il y a plus d’un demi-­siècle une vie banale et méconnue dans l’ouest de Java, Une femme indonésienne prend la forme d’un voyage mémoriel aux accents universels. Les troubles politiques et sociaux survenus au lendemain de l’indépendance, l’héritage culturel du peuple sundanais (originaire de Jakarta, Kamila Andini se souvient des histoires transmises par sa grand-mère) : pour son quatrième long métrage, la cinéaste de 36 ans invoque certains fantômes de son pays tout en élargissant la carte de son récit.

Au fond de l’Indonésie rurale et bourgeoise des années 1960 qu’elle met en scène, le destin particulier de Nana reflète aussi les maux, séculaires, de toutes les femmes piégées dans un monde d’hommes et condamnées à enfouir leur peine au plus profond d’elles-mêmes. Écho d’un tel malaise, le film s’ouvre sur une scène de fuite en forêt aux allures de cauchemar. On y suit la foulée inquiète de l’héroïne, fuyant son présent et les monstres du hors-champ – soit les lames de la purge anticommuniste qui ont déjà fait d’elle une orpheline et une veuve. Quinze ans plus tard, la voici installée au sein d’une grande maison en compagnie de son second mari, bien plus âgé, sauvée des ténèbres de la jungle.

Refuge insoupçonné ou autre cauchemar à la lueur du jour ? Maniant l’ellipse pour montrer cette nouvelle vie étonnamment sereine, enrichie d’étoffes traditionnelles, de plusieurs domestiques et d’un époux qui a l’air d’échapper au cliché du vieux tyran libidineux, Andini cultive l’art du huis clos avec un mélange de raffinement et de pudeur. Dans ce décor familial douillet, le soin obsessionnel accordé au découpage et à la lumière n’est pas sans rappeler la volonté de contrôle de l’héroïne. Même si, ici, chaque mot, chaque rituel silencieux, chaque main tendue devant le miroir ou les compositions florales ne fait qu’accentuer la solitude de Nana (Happy Salma, magnifique dans ce rôle d’épouse et de mère mue par le sens du devoir, devenue comme hermétique à sa propre existence).

Mélodrame au ralenti, d’une beauté si sophistiquée qu’elle en deviendrait presque intimidante, Une femme indonésienne ne manque pas de nuances ni de surprises. À commencer par ces scènes fiévreuses en extérieur – et en musique – placées sous l’influence de Wong Kar-wai. Sans oublier la présence lumineuse d’Ino (Laura Basuki, Prix du meilleur second rôle à Berlin), jeune maîtresse du patriarche qui se lie d’amitié avec celle qui aurait très bien pu être sa rivale. Un habile récit de sororité entre deux figures lucides, partageant souvent le même plan et les mêmes envies d’ailleurs, perdues dans leurs pensées.

Une femme indonésienne, de Kamila Andini, ARP Sélection (1 h 43), sortie le 21 décembre

Image Copyright ARP Sélection

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