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SCÈNE CULTE · « Serial Mom » de John Waters

  • Quentin Grosset
  • 2023-04-13

Quand on a demandé à John Waters quelle était la séquence dont il était le plus fier, il nous a parlé d’un de ses films hollywoodiens tardifs, « Serial Mom ». Et de cette scène, pour lui la plus drôle de tout son cinéma, dans laquelle la mère de famille coquette et respectable, Beverly, se transforme en apôtre du vice et harcèle sa voisine au téléphone, avant de prendre goût au meurtre et de terroriser Baltimore.

La scène

Beverly Sutphin est dans sa chambre. Son sourire bon enfant se teinte de vice tandis qu’elle compose un numéro de téléphone. En split screen apparaît sa voisine Dottie Hinkle, qui n’a pas l’air sereine lorsqu’elle entend la sonnerie. Elle décroche.

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Dottie Hinkle : Allô ?

Beverly Sutphin : JE SUIS BIEN CHEZ LA SUCEUSE DE BITES ?

D. H. : Nom de Dieu ! ARRÊTEZ D’APPELER ICI !

B. S. : JE NE SUIS PAS AU 42 15 CHATTE ?

D. H. : Espèce de salope !

B. S. : LAISSEZ-MOI VÉRIFIER LE NUMÉRO – JE NE SUIS PAS AU 212 VA TE FAIRE FOUTRE ? […]

D. H. : La police est en train de tracer ce numéro en ce moment même.

B. S. : COMMENT ÇA SE FAIT QU’ILS NE SOIENT PAS LÀ ALORS, FACE DE RAT ?

D. H. : VA TE FAIRE FOUTRE !

Dottie raccroche brutalement. […] Beverly s’esclaffe et recompose immédiatement le numéro. Dottie décroche le combiné.

D. H. : T’AS PAS ENTENDU ? VA TE FAIRE FOUTRE !

B. S. : Je vous demande pardon ?

D. H. : Qui est-ce ?

B. S. : Madame Wilson, de votre compagnie téléphonique. J’ai cru comprendre que vous étiez harcelée par une personne qui vous abreuvait de propos obscènes.

D. H. : Oui… C’est vrai… Je suis désolée, madame Wilson. Ça me rend folle. J’ai déjà changé deux fois de numéro. […] Aidez-moi, s’il vous plaît ! […]

B. S. : Qu’est-ce que cette personne dérangée vous dit exactement ?

D. H. : Je ne peux pas le dire à voix haute. Je n’utilise pas de mots grossiers.

B. S. : Je sais que c’est difficile, mais nous avons besoin des mots exacts.

D. H. : D’accord… je vais essayer… « Suceuse de bites. » C’est comme ça qu’elle m’appelle.

B. S. : ÉCOUTE-TOI, AVEC TA SALE GUEULE, PUTAIN DE PUTE !

D. H. : PUTAIN DE MERDE !

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L’analyse de scène

Plus sobre, moins surexcité que dans ses premiers films, mais du coup bien plus insidieux et dérangeant, John Waters filme Kathleen Turner comme s’il saisissait une mue en loup-garou. Quand elle compose le numéro de sa voisine dans sa chambre pastel tellement normcore qu’elle en devient inquiétante, une ombre discrète projetée sur elle semble un mauvais présage. Turner convulse presque de plaisir, grimaçant d’un sourire maléfique et d’un jeu de sourcils alarmant.

Celle qui a déjà l’air d’une victime, Dottie Hinkle, apparaît à gauche de l’écran, dans un split screen cruel de contrastes. Elle est jouée par l’extravagante Mink Stole, habituée du cinéma de Waters, dont le cinéaste retient, comprime le jeu, pour qu’elle ait l’air d’un pauvre oiseau perdu, blessé. Dottie décroche. Là, Turner se contorsionne, et du plus profond de ses entrailles surgit la voix caverneuse du mal : au téléphone, elle lui débite les pires insanités avec le même flow que le diable dans L’Exorciste. « JE SUIS BIEN CHEZ LA SUCEUSE DE BITES ? » dit-elle, les dents blanches, et le brushing toujours impeccable.

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