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SCÈNE CULTE · « Pique-nique à Hanging Rock » de Peter Weir

  • Enora Abry
  • 2024-01-09

A l’occasion de la sortie de « Priscilla » de Sofia Coppola, retour sur l’une des plus grandes inspirations de la réalisatrice, « Pique-nique à Hanging Rock » de Peter Weir. Un film à l’onirisme mystérieux disponible gratuitement sur Arte jusqu’au 15 janvier.

Peu de personnages de fictions peuvent se vanter d’avoir une statue à leur effigie. C’est pourtant le cas de Miranda dans Pique-nique à Hanging Rock (1977) réalisé par Peter Weir, qui trône fièrement à l’entrée du centre d’accueil des visiteurs du Hanging Rock, un mont rocheux australien. L’intrigue tragique de ce film a de quoi attirer les curieux - en 1900, le jour de la Saint-Valentin, un pensionnat de jeunes filles aisées pique-nique au pied du Hanging Rock, une excursion dont trois d’entre elles ne reviendront pas -, c’est surtout son esthétique qui l’a hissé au rang de film culte.

On regarde cette œuvre comme l’on découvrirait de vieilles cartes postales peuplées de fillettes en longues robes blanches, entourées d’arbres immenses et d’herbes hautes sous un soleil radieux. Des images qui ne sont pas sans rappeler celles de Virgin Suicides de Sofia Coppola (2000). Mais une ombre plane sur cette nature idyllique. Les montres se sont arrêtées et quatre jeunes filles s’éloignent du groupe pour gravir le Hanging Rock vers lequel une force invisible semble les pousser. Pour continuer leur chemin, elles doivent passer une rivière et ne se rendent pas compte que deux garçons, un jeune lord et son valet, les observent.

C’est le jour de la Saint-Valentin : les demoiselles se sont abreuvées de poèmes d’amour depuis l’aube. Mais dans cette scène de la traversée de la rivière, la voix est laissée aux deux garçons dont les pensées sont bien loin des vers romantiques. Le valet, Tom, ne se prive pas d’objectifier les jeunes femmes : « Elles sont pas mal roulées les deux grandes. La brune avec ses boucles, sa taille fine, on dirait un sablier. La blonde, elle a un bien joli petit cul ». Mimant ces paroles crues, la caméra insiste - grâce à des ralentis - sur les mouvements des filles qui grimpent et sautent pour traverser la rivière, ce qui laisse parfois entrevoir leurs jambes quand leurs longues robes se soulèvent. La lenteur des plans alliée à une photographie cotonneuse donne alors l’impression d’un rêve. Dans le regard des garçons, les quatre fillettes se muent en nymphes au bord de l’eau - une référence mythologique qui métaphorise l’éveil du désir chez les deux jeunes garçons.

Mais ce désir n’est pas réciproque. Là où on s'attendait à voir Miranda tourner le visage vers eux, c’est vers le Hanging Rock qu’elle lève les yeux. Dans cette scène, les jeunes filles ne sont ni agentes, ni conscientes du désir qu’elles inspirent et deviennent le simple réceptacle des pensées de ceux qui les regardent. Cette position du regardant et du regardé n’est pas sans rappeler – une fois encore –Virign Suicides dont l’histoire des sœurs Libson est racontée à travers les yeux de leurs voisins qui les espionnent depuis leurs fenêtres.

Quand Michael (le jeune lord) reprend son valet pour ses mots indécents, celui-ci rétorque : « Moi je dis des mots crus, vous, vous les pensez. » Car qu’importe la bonne tenue de Michael, lui aussi se retrouve dans la position du voyeur - au même titre que le spectateur qui regarde ces images. Ce qui se passera après – la fascination étrange qui pousse ces filles à gravir le mont rocheux ainsi que leur disparition et la réapparition de l’une d’entre elles devenue amnésique – ne sera jamais expliqué. L’utilisation toujours plus appuyée d’une musique lancinante et de ralentis confèrent à cette séquence comme à celles qui suivront une aura quasi mystique. Alors, le lord est-il coupable du drame ? Ou est-ce une force inexplicable logée dans le Hanging Rock ? La statue de Miranda, à l’entrée du centre d’accueil des visiteurs, ne livrera pas ses secrets. 

Disponible gratuitement sur Arte jusqu’au 15 février. 

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