- Article
- 7 min
3 questions à Saul Williams et Anisia Uzeyman sur leur film « Neptune Frost »
- Quentin Grosset
- 2021-07-16
L’artiste américain multifacettes (poète, musicien, acteur et maintenant cinéaste) Saul Williams et l’actrice, dramaturge et réalisatrice rwandaise Anisia Uzeyman présentaient l’audacieuse et éclatée comédie musicale "Neptune Frost" à la Quinzaine des réalisateurs. Une intense histoire de révolte menée par un.e hacker.euse non binaire et un mineur de coltan en fuite dans un univers cyberpunk auquel les cinéastes greffent leurs questionnements queer et post-coloniaux. On a posé 3 questions à ces deux artistes à l’univers passionnant.
À quel moment de votre vie étiez-vous quand vous avez imaginé ce film ?
Saul Williams : Je commençais à penser aux rêves qu’il fallait encore que je réalise. J’ai toujours voulu faire une comédie musicale, je me demandais si j’allais pouvoir. C’est comme mon rapport au roman, j’ai souvent eu envie d’écrire une histoire complète, car en tant que poète j’écris surtout par fragments. Je voulais créer quelque chose plus dans l’unité, avec des personnages auxquels on pourrait s’identifier. Il fallait donc que j’affronte mes appréhensions par rapport à ça, que je trouve le courage et la force d’imagination suffisante.
Anisia Uzeyman : Pour moi le film n’est pas lié à un moment particulier, plutôt au pays où je suis née, le Rwanda, un endroit qui m’est très intime et que je voulais regarder avec un soin particulier. Je voulais raconter l’histoire d’une jeune femme de ce pays déterminée, avec du pouvoir. C’est en cela que je me projette dans son histoire : elle prend son indépendance.
Le film aborde des questions post-coloniales et queer dans un style cyberpunk très personnel. Qu’est-ce qui vous intéressait dans cette esthétique ? Il y a des artistes auxquels vous avez pensé ?
Anisia Uzeyman : On a beaucoup pensé à RanXerox, un comics cyberpunk des années 1980, et j’ai beaucoup lu de livres sur les algorithmes. Pour l’atmosphère, on s’est beaucoup inspiré de Solaris de Tarkovski, cette ambiance de fin des temps. Quant à 2046 de Wong Kar Wai, il nous a influencés sur la manière dont les couleurs pouvaient refléter l’état émotionnel des personnages.
Saul Williams : Aussi Arthur Jafa, un vidéaste qui travaille sur la résilience afro-américaine.
Anisia Uzeyman : Parmi ces jeunes artistes, il y en a tellement, issus comme moi de la diaspora, qui travaillent sur la réappropriation de leur image. Le film est à propos de ça : on montre comment on se voit, comment on se rêve, comment on se projette. Et c’est notre propre perspective. Pour le look à la fois futuriste et traditionnel des décors, on a fait appel au décorateur Cedric Mizero, il était là dès 2016 quand on a commencé à penser au projet, il avait 22 ans.
Saul Williams : C’est vraiment la star du film. La première chose qu’on lui a dit c’était que le personnage principal était un avatar. Il a travaillé à partir d’objets artisanaux, de matières recyclées qu’il a rendues futuristes en alliant l’organique aux machines, aux ordinateurs.
Le film parle de luttes entremêlées contre le patriarcat, contre les Gafa, contre les responsables politiques ou les puissants corrompus. Pour vous, la révolte ne pouvait s’exprimer qu’à travers cette narration très libre, éclatée ?
Saul Williams : Oui. Le film est aussi en révolte contre les formes narratives traditionnelles. En tant qu’artistes nous devons souvent nous affirmer en disant qu’on ne veut pas que notre carrière prenne telle ou telle direction, écrire une histoire sous une forme calibrée, demander de l’argent de cette façon… Le fait de ne faire aucun compromis, c’est à la base du projet. Nous voulions préserver notre liberté pour pouvoir écrire l’histoire de personnes africaines avec leur langage, leurs perspectives.
Anisia Uzeyman : Personnellement, même si notre intrigue est très onirique, je trouve qu’elle est beaucoup plus claire que dans certains films hollywoodiens. Si je regarde un Marvel, je ne comprends rien.
Saul Williams : Nos rêves nous ont beaucoup inspirés. En tant qu’écrivain, le rêve est excitant car il promet une forme totalement libre.