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Laura Verdier : « Les lanceurs d’alerte sont nécessaires, mais on ne leur donne la parole que quand une catastrophe est survenue »

  • Thomas Messias
  • 2021-08-09

Dans "Rouge" (en salles ce mercredi), l’usine dont Nour (Zita Hanrot) est la nouvelle infirmière déverse dans la nature une boue rouge qui détruit tout sur son passage. Sauver l’environnement, ou les emplois – dont celui de son père ? C’est le dilemme de l’héroïne de ce film sous pression qui fait de la pollution industrielle un enjeu politique majeur. Laura Verdier, ingénieure en sciences de la terre, nous donne son avis sur le film.

Faut-il nécessairement des lanceurs d’alerte, comme l’héroïne de Rouge, pour attirer l’attention du plus grand nombre sur la pollution industrielle ?

Ce qui fait avancer les réglementations, ce sont avant tout les gros accidents. Il n’y a hélas rien de tel qu’une explosion ou des pertes humaines pour faire bouger les lignes, comme l’a prouvé l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. Il faut aussi rappeler que la directive Seveso [qui impose d’identifier les sites industriels les plus à risque et d’y maintenir un haut niveau de prévention, ndlr] tire son nom d’une ville italienne où a eu lieu un énorme accident industriel. Les lanceurs et lanceuses d’alerte sont nécessaires, mais on ne leur donne la parole que quand une catastrophe est survenue. La presse française peut être une alliée de poids, elle dispose de journalistes ayant une vraie expertise, mais elle ne traite souvent que les accidents ; pas les cas de pollution moins spectaculaires ni le quotidien des travailleurs et des travailleuses.

Le film de Farid Bentoumi fait état de l’inaction du monde politique concernant la pollution causée par les industries…

La pollution industrielle touche avant tout les sols, comme dans Rouge. Or ce sont les grands oubliés – l’air et l’eau ont souvent monopolisé les débats. Mais on avance ! À la suite de la remise, en septembre 2020, d’un rapport au Sénat qui a mis en lumière le retard accumulé par la France pour la préservation des sols, les politiques sont enfin en train d’ouvrir les yeux sur ces sujets très techniques, compliqués à appréhender. L’accumulation de scandales a débouché sur une prise de conscience, en France comme en Europe. Les avancées sont lentes et encore trop peu ambitieuses, mais je suis moins pessimiste qu’il y a un an.

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Rouge montre qu’il est difficile de concilier rentabilité, protection de l’emploi et remise aux normes d’infrastructures souvent vieillissantes…

L’équation est compliquée à résoudre. Ces sujets ne reposent pas sur la volonté des personnes qui dirigent les sites, mais bien-sûr celle des actionnaires, dont la propension à mettre de l’argent sur la table est variable. C’est pourquoi il est nécessaire de leur mettre à la fois une pression financière – l’impact boursier –, médiatique – l’image de marque est importante – et légale, avec des contrôles et des amendes. Mettre une vieille usine aux normes, c’est faisable, mais c’est compliqué et souvent plus onéreux que d’en reconstruire une nouvelle. Longtemps, les industries ont été délocalisées en raison de nos contraintes environnementales jugées trop fortes. Ça revenait à déplacer la pollution ailleurs… Une relocalisation va s’opérer en Europe dans un avenir proche, et ce sera un virage capital.

Rouge de Farim Bentoumi, 1h28, Ad Vitam, en salles le 11 août

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