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« Rodeo » de Lola Quivoron : cowboys modernes

  • Tristan Brossat
  • 2022-09-05

Coup de cœur du jury Un certain regard au dernier Festival de Cannes, le premier long métrage percutant de Lola Quivoron, qui suit une bikeuse indocile plongée dans un monde d’hommes, séduit par sa capacité à bouleverser avec finesse les normes établies.

« Sorcière ! » Le mot est lâché. Julia répond à cette insulte lourde de sens par un long doigt d’honneur brandi vers celui qui la profère. Manel, mâle dominant membre des B-more, n’a jamais supporté que la jeune femme rebelle intègre cette bande 100 % masculine. Des fous de moto qui retapent des grosses cylindrées avant de les faire vrombir à toute allure sur des « lignes » de bitume perdues dans des zones désaffectées de banlieue pari­sienne. Cet espace géographique peuplé d’adeptes des roues arrière, la réalisatrice Lola Quivoron l’avait déjà filmé dans son court métrage de fin d’études, Au loin, Baltimore.

L’arrivée d’un personnage féminin dans cette communauté où règne en apparence une masculinité au faîte de sa toxicité va permettre de questionner encore plus profondément ce monde qui fascine la cinéaste depuis son enfance à Épinay-sur-Seine. Ce n’est pas un hasard si sa caméra s’attarde sur les pots d’échappement, les pistons et les guidons, toutes ces pièces qui s’assemblent autant qu’elles se désossent. La carapace viriliste des personnages masculins est elle aussi déconstruite, et ce procédé de démantèlement est d’autant plus efficace que l’explosive Julia n’entre elle-même dans aucune case. Surtout pas dans celle d’un féminin stéréotypé auquel les B-more voudraient la réduire. Fumeuse de joints, voleuse invétérée, elle pousse encore plus loin les curseurs de la marginalité que ne le fait ce crew qu’elle parvient à intégrer à la suite de la mort d’un des leurs.

À la fois drame social, film de braquage et film noir, Rodeo est par ailleurs nimbé d’une atmosphère fantastique qui colle parfaitement à ce personnage de « sorcière » incarné par Julie Ledru, bikeuse dans la vraie vie. Une figure déconcertante dont la radicalité s’illustre à merveille autour d’un feu, dans une danse nocturne déchaînée aux allures de sabbat. Cette séquence intervient juste après que Manel, dont Julia avait osé remettre en question la virilité en l’aidant à se relever d’une mauvaise chute, l’a insultée. Plutôt que de se sentir rabaissée, la jeune femme semble galvanisée par l’emploi de ce terme. Car il renvoie bien sûr à cet imaginaire de la femme maléfique, mais aussi à une figure libre et puissante qui, à la fin du film, parviendra symboliquement à échapper au destin tragique que lui réservaient les hommes.

TROIS QUESTIONS À LOLA QUIVORON

Pourquoi l’univers particulièrement viriliste du cross bitume vous fascine-t-il tant ?

C’est un univers marginal qui est régi par des codes très précis et une technicité sophistiquée. J’aime observer ce micromonde, ses rituels, sa mythologie, et y injecter des éléments de fiction pour mettre à jour sa mécanique et faire bouger les lignes.

Vous dîtes que, si votre court métrage Au loin, Baltimore décrivait ce même univers de manière naturaliste, Rodeo est quant à lui un film « surnaturaliste »…

Le naturalisme y est doublé d’une dimension épique, avec un rapport fort à la mythologie américaine, celle du western mais aussi de la bike life. Je voulais que Rodeo s’inscrive dans une esthétique mêlant une forme de spiritualité, de croyance, de rêves à un réalisme cru, brutal, quasi documentaire.

Si le courage de Julia force l’admiration, sa radicalité ne rend-elle pas difficile l’identification du spectateur à son personnage ?

Je crois que sa radicalité n’est pas un barrage à l’identification. Julia est une figure dissidente, mais, comme beaucoup d’entre nous, elle porte en elle une quête d’absolu, un désir irrépressible de se sentir vivante. La sincérité et la détermination avec lesquelles elle se débat la rendent très attachante, et très émouvante.

Rodeo de Lola Quivoron, Les Films du Losange (1 h 45), sortie le 7 septembre

Images (c) Films du Losange

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