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QUEER GUEST · Sam Bourcier : « Nous avons dû lutter pour arriver jusqu’aux écrans. »

  • Timé Zoppé
  • 2024-05-16

 On a demandé à des figures queer d’âges et d’horizons différents de nous parler des premières images, vues au cinéma ou à la télévision, qui ont fait battre leur petit cœur queer. Aujourd’hui, le sociologue Sam Bourcier, qui a contribué à introduire les Queer Studies en France et a signé l’indispensable trilogie « Queer Zones » (éd. Amsterdam, 2018). Il participe activement au centre d’archives LGBTQI+ IDF, qui organise régulièrement des ateliers de découvertes des archives et sera présent au précieux festival Paris Ass Book Fair, du 17 au 19 mai au Palais de Tokyo.

 QUEER GUEST est une série d'articles issue de notre rubrique QUEER GAZE, le cinéma LGBTQ+ raconté par la journaliste Timé Zoppé.

« J’ai fait toute ma scolarité du secondaire en pension, à la maison d’éducation de la Légion d’honneur…  et l’ambiance n’était pas tout à fait Jeunes Filles en uniforme, le film lesbien de Léontine Sagan [1931, ndlr] puis de Géza von Radványi [1958, ndlr] avec Romy Schneider, que je verrais des années plus tard. Surtout, l’accès aux images, télé, cinéma, était quasiment inexistant et surveillé, donc c’était plutôt la diète. J’étais lesbienne à l’époque mais sans aucune culture correspondante et pas encore politisée, et je fais partie d’une génération - celle qui a eu 20 ans dans les années 1980 - qui a dû se bricoler des lectures crypto-lesbiennes des films ou les détourner pour y trouver quelque chose à manger et à voir. Imaginez : sans internet et sans les séries.

Il y avait bien le festival permanent de l’homosexualité, au cinéma Le Déjazet je crois, à Paris, mais même si je pratiquais des identifications croisées gaies, la programmation était à 99% que gaie. J’y ai vu tous les Fassbinder, Visconti, etc. J’avais vu Race d’Ep [Lionel Soukaz et Guy Hocquenghem, 1979, ndlr] aussi dans un cinéma du quartier latin, et tous les Pasolini au Champo. Il n’y avait pas de films lesbiens français en tant que tels ou qui permettaient de s’identifier en se reconnaissant à l’écran. Et je ne parle même pas des scènes de sexe vu que, quand il y en avait, il s’agissait de girl number de pornos, avec des femmes hétéros aux ongles longs filmées pour que les mecs se branlent dessus.

A fortiori dans La Pirate, le film de Doillon de 1983 où Jane Birkin susurrait un « prends-moi » à Maruschka Detmers sous la caméra torve du réalisateur voyeur… Je me souviens que du coup, on lesbianisait les réalisatrices et les actrices que l’on aimait bien, Birkin, Dominique Sanda ou encore Helma Sanders Brahms dans Die Berührte de 1981 (La fille offerte) avec cette scène où elles descendent une bouteille de rouge de manière très érotique mais sans vraiment conclure.

Tout a changé quand j’ai commencé à fréquenter Cineffable, le festival de films lesbiens et féministe à la fin des années 1990, d’abord en tant spectatrice puis en tant que programmatrice de la section porno, qui a très bien marché évidemment. Avant que Le Trianon à Pigalle devienne inabordable, le festival s’y déroulait et ça avait vraiment de la gueule. C’était juste après l’arrivée des premiers films lesbiens indie états-uniens comme Go Fish de Rose Troche en 1994 et The True Incredible Adventure of Two Girls in Love de Maria Maggenti en 1995 et l’intérêt naissant d’Hollywood pour des histoires lesbiennes. Comme tout le monde, j’avais besoin de narrations explicites à tous les sens du terme parce que le cinéma expérimental féministe et lesbien me laissait sur ma faim et n’était pas très empouvoirant.

Cineffable et la forme festival ont été déterminants pour moi. Ça a véritablement changé ma vie. C’est en voyant des documentaires sur les gays et les lesbiennes puis très vite sur les trans, sur leur persécution, leur médicalisation, leur psychiatrisation que je me suis politisé, que je suis devenu féministe et que j’ai enclenché sur un activisme culturel qui consistait à intervenir dans la politique des représentations en écrivant sur le cinéma queer, en proposant de programmations qui parlent aux LGBTQI+.

Avec les programmations de la première assoce queer française, Le Zoo au cinéma Action Christine, par exemple, où nous avons projeté Le Celluloid Closet de Jeffrey Friedman et Rob Epstein, des pornos et un doc lesbien sur la scène lesbienne US, Bloodsisters, Leather, Dykes and Sadomaschism de Michele Handelman. Dans les salles obscures des festivals, on retrouve cette dimension collective du visionnage qui décuple la puissance de nos images et de nos cultures, et c’est aussi ce qui m’a amené à travailler sur les deux éditions du Porn Film Festival de Paris, en lien avec celui de Berlin et d’Athènes.

Le cinéma qui m’a le plus chamboulé et changé mon rapport à l’identité politico-sexuelle et à mon genre, c’est le cinéma queer en tant que tel. Je veux parler du « vrai cinéma queer » de la fin des années 1990 et de ses prolongements, pas du parapluie « queer » synonyme de gay ou lesbien. Et du courant correspondant avec des réalisateur·ice·s comme Todd Haynes et son Poison, Georges Greyson et son Urinal, Gregg Araki, Derek Jarman, Tom Kalin et son Swoon, Marlon Riggs et son Tongues Untied, Pratibha Parmar avec son Bhangra Jig, Shu Lea Chang et son Fresh Kill, Bruce LaBruce et son Hustler White, et last but not least Monika Treut ! Monika a été la première à filmer les cultures drag king et trans de San Francisco et à me plonger dans la sex war.

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Le cinéma queer, c’est celui qui dit : t’en as pas marre des pédés et des lesbiennes gentilles ou des films qui s’évertuent à montrer des rôles positifs, respectables et sages comme des images pour les LGBT ! Je crois qu’on en a bien besoin actuellement ! Au dernier festival de femmes de Créteil, j’ai encore remercié Monika pour son Virgin Machine, mon bildungsmovie, mon film de dé-formation où j’ai appris à devenir gouine, pro sexe, S&M et qui sait peut-être trans vu le haut degré de gender fucking du film avec Shelley Mars alias Martin et Ramona.

Ce cinéma queer là n’est pas qu’une phase et il est bien vivant, même si moins visible et forcément moins financé. C’est ce cinéma queer et post-porn que là que j’ai essayé de faire avec le documentaire Mutantes [2009, ndlr] que j’ai coréalisé avec Virginie Despentes [celle-ci est officiellement créditée seule au générique mais Sam Bourcier a réalisé une partie des entretiens, ndlr].

Je pense que le cinéma, notamment celui des festivals LGBTQI+, avec tous ces films que l’on ne peut voir que là et ensemble, a été, est encore crucial pour moi et bien d’autres. Sans doute parce que je suis très impliqué dans le centre d’archives LGBTQI+ de Paris, je le vois aussi comme une gigantesque archive de nos expériences, de nos vies, de nos affects et du fait que nous avons dû aussi lutter pour arriver jusqu’aux écrans.


Le cinéma, du court métrage autoproduit aux souvenirs des spectateur·rice·x·s en passant par les super 8, le porno et les balcons du Louxor transformés en baisodromes, sera une dimension essentielle du futur centre d’archives. Avec en perspective des collaborations et des archivages avec le 7ème genre, le ciné-club LGBT d’Anne Delabre et le festival Chéris Chéris, qui va fêter son trentième anniversaire en 2025. »

: le Centre d'archives LGBTQI+ Paris IDF au Paris Ass Book Fair, du 17 au 19 mai au Palais de Tokyo

: 2 soirées archives au cinéma Le Luminor avec le Centre d'archives LGBTQI+ Paris IDF :

-          18 juin : « Archivons les Super 8 de nos luttes »

-          28 juin : « Cabaret archives »

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