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QUEER GUEST · Océan : « Je peux parler d’un immense désert de représentations, notamment des personnages transmasculins. »

  • Timé Zoppé
  • 2023-06-21

On a demandé à des figures queer d’âges et d’horizons différents de nous parler de la première image, vue au cinéma ou à la télévision, qui a fait battre leur petit cœur queer. Cette semaine, le réalisateur et acteur Océan, qui vient de sortir sur France.tv Slash la 3e saison de son excellente série documentaire, dans laquelle il réfléchit avec sa bestie Sophie-Marie Larrouy à comment « faire famille » autrement.

QUEER GUEST est une série d'articles issue de notre rubrique "QUEER GAZE", le cinéma LGBTQ+ raconté par la journaliste Timé Zoppé.

« Vers 13 ou 14 ans, j’ai vu Henry et June [de Philip Kaufman, 1990, ndlr], qui n’est pas forcément un très bon film, avec Uma Thurman au début de sa carrière – elle est franchement trop canon – et Maria de Medeiros. Dans mon souvenir, il y a une scène où elles s’embrassent, peut-être qu’elles couchent ensemble mais ça devait quand même être assez soft. Je crois que c’est la première fois que je voyais deux femmes s’embrasser dans un film, avec une scène qui se veut torride. Même si bon, forcément, tout était axé autour du cismale gaze avec le personnage d’Henry Miller au milieu. Je ne l’ai jamais revue, mais je me souviens que cette scène m’avait beaucoup… « ému », on va dire.

Copyright Universal Pictures

Quand j’avais 15 ans, j’étais à New York avec mon père. J’ai vu un film qui est devenu culte par la suite, mais j’ai eu la chance de pouvoir le voir à sa sortie, c’est Go Fish [de Rose Troche, 1995, ndlr], qui pour le coup est beaucoup plus queer, radical. Je l’ai revu récemment et je l’ai encore plus aimé, j’ai pu en capter toutes les subtilités, les blagues intra-communautaires. Go Fish, ça reste une référence en termes de liberté, de cinéma avec toutes ces images qui s’intercalent dans la narration, ses personnages qui sont toustes queer, avec des butchs comme on n’en voit jamais sur grand écran. Sur la question raciale aussi : dans ma jeunesse, le peu de représentations qu’on avait, c’était toujours des personnes blanches.

A part ça, je peux parler d’un immense désert de représentations. Notamment des personnages trans, en particulier transmasculins. Quand j’ai fait la saison 1, c’était pour le moi de mes 15 ans. Si j’avais eu un film ou une série comme ça à l’adolescence, j’aurais peut-être transitionné plus tôt. Mais je ne savais pas que c’était possible, que ça existait, je ne pouvais pas le penser. En particulier la transmasculinité. Déjà, il y avait cette confusion dans la représentation des femmes trans et des hommes travestis en femmes, on ne comprenait pas trop la différence. Et c’était forcément une victime, travailleuse du sexe, qui meurt à la fin. Ce n’était pas des supports identificatoires libérateurs, et de toute façon ça n’avait rien à voir avec qui j’étais.

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Finalement, le seul film à présenter un personnage transmasculin, c’était Boys Don’t Cry [de Kimberly Pierce, 1999, ndlr], avec Hilary Swank. C’est un très beau film, dur, violent, mais son personnage se fait buter à la fin. Ça associe là encore la transidentité à la souffrance et même à la mort. J’étais assez gêné aussi parce que le personnage n’était pas vraiment présenté comme un mec trans mais comme une lesbienne qui s’habille en garçon, il y avait une espèce de flou. En tant que lesbienne à l’époque qui cherchait plutôt des représentations de lesbiennes « féminines » ou dans une certaine hétéronormativité, ça venait chercher un truc en moi qui était un peu effrayant. J’avais 22 ans quand le film est sorti, c’était pile à l’âge où j’ai commencé à assumer que j’étais lesbienne, j’avais encore beaucoup de lesbophobie internalisée.

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Récemment, j’ai adoré le documentaire Disclosure [de Sam Feder, sorti en 2020 sur Netflix, ndlr], qui raconte très bien les représentations des personnes trans au cinéma. Par exemple la violence symbolique d’Hilary Swank quand elle arrive sur scène dans sa grande robe pour aller chercher son Oscar pour ce rôle, qui vient aussi montrer la transidentité comme un travestissement et pas comme une identité de genre. Je pense que si le rôle avait été interprété par un mec trans, ça aurait fait la différence.

Les représentations trans ont longtemps été catastrophiques mais c’était pareil pour les lesbiennes, il y avait toujours l’archétype de la lesbienne sulfureuse comme si les scénaristes voulant créer un personnage de méchante se disaient : « Tiens, si elle était lesbienne ? Ça la rendrait encore plus méchante ! » Ou un film comme Chloé d’Atom Egoyan [sorti en 2010, avec Julianne Moore et Amanda Seyfried, ndlr]. Pour moi c’est insupportable, cette figure du ou de la queer maléfique. C’est sans doute inconscient, mais on dirait que les créateurs se disent, à propos des méchantes : « Qu’est-ce que je peux faire pour la rendre encore plus incontrôlable ? Mais oui, elle va rejeter les hommes ! » On a manqué, et on manque encore de représentations positives. Notamment de personnages trans, c’est flagrant. »

Portrait : ©Lucie Rimey-Meille

: Océan, 3 saisons disponibles sur France.tv Slash

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